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Disques

Tweedy – Sukierae

Tweedy - Sukierae

Attention, ceci n’est pas un album solo de Jeff Tweedy (de Wilco). Ceci est un (double) album familial de papa Tweedy et de fiston Tweedy à la batterie. Ça fait un peu peur, lu comme ça, mais c’est très bon en fait. Le patron du magasin de disques Pet Sounds me l’avait dit : à part la première chanson, tout le reste est bon. Sauf que le patron avait tout faux : elle n’est pas mal du tout cette chanson d’ouverture, « Please Don’t Let Me Be So Understood » avec son riff cassé et sa batterie tout en rupture. À vrai dire, elle nous rappelle même les aventures musicales de Loose Fur (Tweedy, Kotche et O’Rourke, excusez du peu). Nous sommes bien loin d’un disque récréatif pour amuser le petit dans le garage : tout ce « Sukierae », un peu Wilco light, c’est vrai, résonne comme un terrain de jeu pour les chansons de Tweedy mais sans facilités.

Le drogué « High as Hello » finement ciselé (un chœur par ci, des guitares enlacées par là, un petit beat électronique sous la batterie) nous rappelle que Tweedy père est le fils légitime et caché de Lennon/McCartney. Quant à Tweedy fils, on devrait chercher la paternité du côté de Glenn Kotche et de Todd Trainer (Shellac) qu’on découvre sur la cavalcade « Diamond Light », sommet du disque, raga pop hanté et malade de 6´13. Et si on ne tenait pas le meilleur disque de Wilco depuis « Yankee Hotel Foxtrot » ? On y retrouve les mêmes fantômes et les chemins de traverse y sont de nouveau privilégiés. Comme « Yankee Hotel Foxtrot », « Sukierae » fonctionne comme un organisme vivant, un paysage mouvant. Les titres se répondent, s’opposent. On parcourt des longues vallées désolées (« Diamond Light » donc, mais aussi « Slow Love »), grimpe sur des tertres verdoyants (« Honey Comb », « Fake Fur Coat »).

Finalement, on appréhende le mieux « Sukierae » en s’y immergeant totalement, comme dans un voyage. Attention, on n’est pas chez Pierre & Vacances : l’ambiance y est bien souvent sombre et les gentils animateurs ne ménagent pas nos petits cœurs d’artichaut. Le « Black Bird » de Macca s’est pris un coup de fusil (« Pigeons ») et « Nobody Dies Anymore » fera pleurer dans les chaumières tout cet hiver : un simple petit riff de rien du tout mais merveilleux en soi (à la « Sky Blue Sky »), une petite voix féminine, un chœur égaré. Si notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Tweedy et consorts nous aident volontiers en nous tenant la main depuis quelques années.

Il y a aussi quelques chansons rageuses, au besoin, telle « I’ll Sing it », lointaine cousine dépressive de « I’m Trying to Break Your Heart ». Et quelques pochades « wilcoesques », comme « Low Key » au clip hilarant (featuring quelques copains voisins qui traînaient par là) rappelant un peu celui de la Rock School de Yo La Tengo.

 

On a même droit à quelques éruptions pliniennes (à défaut de Nels Cline) de guitares électriques : « World Away » et son final à la Sonny Sharrock, « Flowering » en mode bourgeonnant ou le nocturne « New Moon » avec son lot de guitares sales et mal peignées. La voix de Tweedy est à son zénith : voix nonchalante d’éternel adolescent mûri trop vite qui sait si bien chanter nos joies et nos angoisses. Sur « Hazel », Tweedy chevrote un peu à la Bob Dylan sur les bords mais de manière éminemment plus sympathique que M. Zimmerman.

Tweedy se permet tout, y compris de laisser traîner dans ses chansons des bouts de leurs versions démo enregistrées sur iPod, et c’est ce qui fait tout le charme de cet album passionnant, souvent, et diablement attachant, comme cette guitare une peu fausse sur le final « I’ll Never Know », petit bijou laissé en guise d’au revoir. Jeff Tweedy nous offre son petit cœur d’écorché et on le recueille précieusement en bons piétistes folk.

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