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La Route du rock 2014 – Interview

De tous les festivals estivaux, la Route du rock de Saint-Malo (déclinée depuis quelques années dans une version hivernale) est peut-être celui dont POPnews se sent le plus proche. En partie parce que certains rédacteurs – dont l’auteur de la présente interview – le suivent et le couvrent quasiment depuis ses débuts confidentiels (qui était là pour applaudir – ou pas – Rise and Fall of a Decade en 1994 ?). Et aussi et surtout parce qu’édition après édition, la programmation, entre noms quasi mythiques (My Bloody Valentine, Nick Cave, Mazzy Star, ou Portishead et Slowdive cette année) et révélations excitantes, est un reflet assez fidèle de ce que nous défendons toute l’année dans ces pages. Nous avons donc profité du passage à Paris des programmateurs “historiques” François Floret et Alban Coutoux pour leur poser quelques questions sur le passé, le présent et le futur du rassemblement “indie” breton.

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Il y a deux ans, le festival avait enregistré une sévère baisse de la fréquentation. Avec l’édition 2013, vous étiez revenus aux chiffres habituels, et l’ambiance générale nous avait paru plus joyeuse. Après plus de vingt ans, avez-vous la recette pour un festival réussi ?
François Floret
(photo ci-dessous) : Il n’y a pas vraiment de formule. Disons qu’au départ il y a des envies, et après on voit ce qu’il est possible de faire… C’est vrai que l’édition 2012 a été compliquée, et on a su le reconnaître. La programmation était peut-être un peu plus terne que d’habitude. C’est important de savoir se remettre en cause tous les ans, pour améliorer ce qui n’avait pas fonctionné.
Alban Coutoux :
En 2012, il y a eu de beaux concerts mais on manquait de groupes un peu nerveux et excitants pour apporter du contraste dans la programmation, où dominaient des choses calmes comme Mazzy Star. La tête d’affiche, The xx, avait repoussé la sortie de son album après l’été et il n’y avait donc pas eu du tout de promo au moment du festival, ça a sans doute joué sur la fréquentation. On a rectifié le tir l’an dernier en programmant des artistes électro, TNGHT et Disclosure, en fin de soirée.

floret
F.F. :
Il faut réussir à conjuguer ce qu’on a envie, nous, de voir, et ce qui va faire plaisir au public. L’électro a l’avantage d’être généralement rassembleuse, et en programmant ce genre d’artistes, on n’a pas l’impression de trahir l’idée originelle de la Route du rock.
A.C. : On n’est pas dans la même optique que des festivals spécialisés comme Calvi on the Rocks, Les Nuits Sonores à Lyon ou Astropolis à Brest. Le public de la Route du rock aime danser, surtout sur les fins de soirées, mais il vient avant tout pour voir des concerts. Il faut donc qu’il y ait du live, ou au moins une dimension spectaculaire, comme Aphex Twin avec ses écrans (on se souvient aussi de DJ Shadow il y a quelques années, ndlr). Les rares fois où c’était juste un DJ set, ça n’a pas trop fonctionné. Le public attend autre chose…
F.F. : Et nous aussi !
A.C. : Après, des enchaînements comme Sonic Youth-LCD Soundsystem, on ne peut malheureusement pas les faire tous les ans ! Mais on essaie de s’en approcher, en ayant à la fois des grands noms du rock indé et des artistes « émergents », qui jettent un pont entre une certaine tradition et des sons nouveaux.

En dehors de Portishead (photo ci-dessous), qui fera à la Route du rock l’une de ses rares dates françaises cet été, vous n’avez pas beaucoup de grosses têtes d’affiche. Vous pariez plutôt sur la fidélité et la curiosité du public ?
A.C. : On aurait bien aimé en avoir une par soir, mais ce n’est pas toujours possible. L’important, comme on le disait, c’est d’avoir une programmation cohérente. L’an dernier, la soirée qui a quasiment le mieux marché, c’était la dernière, avec Tame Impala, Hot Chip et Disclosure, des groupes au niveau de notoriété à peu près comparable.
F.F. : Disclosure avait quand même un statut de groupe “hype”, c’était presque l’équivalent d’une tête d’affiche.
A.C. : C’était en tout cas assez différent de la soirée du jeudi où il y avait un grand nom, Nick Cave, et des artistes moins porteurs.
F.F. : Bon, il ne faut pas être hypocrite, on aurait toujours envie d’avoir un grand nom comme ça par soir. On ne peut pas prétendre ne miser que sur la découverte. Après, c’est une question de moyens et là, en l’occurrence, de disponibilité des artistes. Cela me semble compensé par le caractère très homogène et équilibré de la prog. Même si on ne peut pas contenter tout le monde. Certains vont dire qu’à part Portishead, il n’y a rien de connu cette année.
A.C. : Alors que les méga-snobs vont dire qu’il n’y a que des têtes d’affiches, des artistes déjà bien établis ! (rires)

portishead

Les musiciens qui viennent à la Route du rock expriment souvent, sur scène ou en interview, leur plaisir de jouer là plutôt que dans des festivals plus gros, où le public est moins concerné. Est-ce que la Route du rock est devenue une « bonne adresse » que les groupes, notamment anglo-saxons, s’échangent entre eux ? Avez-vous tissé des liens particuliers avec certains au fil des ans ?
A.C. : C’est une certitude. Il y a quelques années, des groupes comme The National ou Grizzly Bear avaient refusé des offres plus importantes pour revenir jouer chez nous.
F.F. : Cette année, il y a Caribou qui revient. Les groupes se croisent dans d’autres festivals et certains parlent aux autres en bien de la Route du rock. Les habitués du Fort de Saint-Père savent que ce qui prime chez nous, c’est l’artistique. Les musiciens sentent qu’ils sont dans une sorte de sanctuaire où ils sont la priorité. Ce n’est pas comme dans beaucoup de festivals où ils arrivent, jouent et se cassent. Pour eux, jouer chez nous, c’est souvent comme une pause dans leur tournée. Nous, on ne se force pas vraiment, on trouve que c’est la moindre des choses de bien recevoir des gens dont on apprécie la musique et des les intégrer dans une programmation qui ait du sens. Après, si ça buzze, tant mieux, mais ce n’est pas notre objectif premier.
A.C. : Il y a beaucoup d’artistes qui sont fans d’autres artistes jouant à la même affiche. Je me souviens de Dirty Beaches qui passait sur la petite scène juste après Blonde Redhead sur la grande, et qui était ravi de jouer le même soir que l’un de ses groupes préférés.

drapeau

Justement, quel bilan tirez-vous de la mise en place d’une véritable deuxième scène l’an dernier, faisant suite à des tentatives plus modestes, comme ces petits intermèdes depuis le haut des remparts ?
F.F. : Ah, tu t’en souviens ? (rires) En fait, ça, c’était une surprise pour les vingt ans du festival, on avait fait jouer Josh T. Pearson (ex-chanteur de Lift to Experience, ndlr) sur les remparts : on avait l’impression que Jésus apparaissait, c’était exceptionnel ! (rires) Il y avait aussi eu DM Stith, qui avait traversé l’Atlantique pour venir et qui, suite à divers retards, n’avait pu se produire qu’une dizaine de minutes…
A.C. : Les deux années suivantes, on a fait jouer les artistes sur une petite scène derrière la régie mais c’était limité, on ne pouvait faire passer que des artistes en solo ou duo. On restait attaché à l’idée de scène unique car on ne voulait pas que les spectateurs aient à choisir entre tel ou tel groupe, comme c’est le cas dans les gros festivals. S’ils veulent tout voir, ils peuvent tout voir, il n’y a pas de choix cornélien à faire. L’enchaînement entre les deux scènes fonctionnait bien mais la formule était un peu réduite. L’agrandissement du site à l’entrée nous a enfin donné l’occasion de créer une véritable deuxième scène, la scène des Remparts. Je reconnais que l’année dernière, elle a été un peu victime de son succès… On n’avait pas pensé que tous les gens massés devant la grande scène allait ensuite refluer vers l’autre, dans un espace nettement plus restreint, d’où une certaine congestion, notamment le premier jour.
F.F. : Le problème, qui est au fond plutôt sympathique, c’est qu’on a un public tellement fan de musique qu’il veut tout voir ! Bon, c’est comme ça dans la plupart des festivals puisque les scènes sont de dimensions différentes, mais il n’y a qu’à la Route du rock qu’on se fait engueuler ! (rires) Alors que chez nous, au moins, on n’entend pas trois groupes qui jouent en même temps… Cette année, on va donc essayer d’améliorer les choses, mais il n’y aura pas de miracle non plus.

scene
A.C. : On a changé l’orientation de la scène pour qu’elle soit dans l’axe du Fort, et la régie est collée aux remparts, ce qui dégage de la place.
F.F. : Ça pourrait évoluer dans le futur, mais je n’y crois pas trop : il faudrait casser de la pierre, et comme il s’agit de bâtiments classés… On doit aussi laisser un couloir de sécurité pour les évacuations, ce qui réduit d’autant l’espace. On verra déjà comment ça se passe cette année. Sachant qu’on devrait avoir une fréquentation en hausse par rapport à 2013 et qu’à ce qu’on nous dit, les artistes de cette année devraient attirer un peu plus de monde que ceux de l’année dernière, à part peut-être Suuns qui avait cartonné.
A.C. : On essaie de créer des correspondances entre les deux scènes. Par exemple, Toy va jouer sur celle des Remparts juste avant leurs potes de Temples sur celle du Fort. J’attends aussi beaucoup de l’enchaînement entre Thee Oh Sees et The Fat White Family : le public va déjà être chauffé à blanc par les premiers, et ça risque donc d’être carrément du délire au concert des seconds.

On note la présence de plusieurs groupes de rock à guitares cette année, plus ou moins agressifs. L’an dernier, la tendance était plutôt au néo-psyché avec Jacco Gardner, Tame Impala, Jackson Scott, Orval Carlos Sibelius… Cela correspond à la musique que vous écoutez, que vous avez envie de faire découvrir, ou ça reflète simplement les genres dominants au moment ou vous élaborez la programmation ?
A.C. : Un peu des deux, sans doute. Il y a en effet un grand retour du psyché depuis quelques saisons, ce sera d’ailleurs le thème de la conférence de Christophe Brault cette année. Parallèlement, on note un retour des grosses guitares.
F.F. : Ce genre de musique fait partie de l’ADN du festival : des trucs un peu punk, dérangeants, agressifs. Des groupes chez qui il y a de l’énergie, de la violence, ce qui peut intriguer ou perturber : Metz, Protomartyr, Cheetahs… (tous programmés sur la scène des Remparts le samedi, ndlr) Personnellement, j’écoute de plus en plus ça aujourd’hui. Et puis ça casse un peu les codes. Les mecs de Metz, par exemple, ils arrivent sur scène tout proprets, en polo, genre premier de la classe. On les a fait jouer à la Route du rock hiver, on ne se méfiait pas, ils commencent, et là le chanteur gueule comme un chevelu…
A.C. : En quinze secondes, il est trempé de sueur ! (rires)
F.F. : C’est impressionnant !

plage

Il se passe aussi des choses dans Saint-Malo intra muros, comme les concerts sur la plage l’après-midi (photo ci-dessus). Est-ce que c’est compliqué à organiser ?
F.F. : De moins en moins, en fait. Quand on a commencé, vu qu’il était question de musique, de guitares, il y avait des craintes, légitimes ou non. On a su se faire apprivoiser au fil des ans. Après, investir d’autre endroits, pourquoi pas ? On parlait, un peu en plaisantant, de faire des concerts exceptionnels au Petit Bé et au Grand Bé. Il y a déjà eu des soirées électro dans des lieux complètement incroyables… Après, aller intra muros juste pour dire qu’on y va, non, il faut que ça ait un sens. Mais s’il y a des opportunités excitantes…
A.C. : Un after sur la plage avec Boards of Canada au lever du soleil, je signe tout de suite ! (rires) Mais en effet, rajouter des choses pour rajouter des choses, ce n’est pas non plus le but. Je crois que la formule marche déjà assez bien, même si la partie “jour” dans Saint-Malo pourrait éventuellement être étoffée.
F.F. : Ce n’est pas évident non plus. Avant, on faisait des concerts au Palais du Grand Large, dans des conditions idéales, mais c’était aussi un handicap pour les spectateurs qui voulaient vraiment tout voir et qui devaient ensuite se dépêcher d’aller au Fort. Avec la deuxième scène, en commençant un peu plus tôt, on peut assister à tous les concerts sans avoir besoin de courir. Au final, l’offre artistique est la même, voire un peu plus fournie, pour un prix comparable.

slowdive

Parmi les groupes programmés cette année, et notamment ceux qui sont encore peu connus, lesquels sont vos plus gros coups de cœur ? Et lesquels verriez-vous devenir importants dans un futur proche ?
A.C. : Question difficile… Avec François, on a beaucoup écouté l’album de War on Drugs cette année. C’est leur troisième donc ce n’est pas vraiment un nouveau groupe, mais ils ont vraiment passé un cap. Leur popularité est grandissante. D’ailleurs, ils seront à la même affiche que Kurt Vile qui a fait partie du groupe à ses tous débuts.
F.F. : Real Estate, dans le même ordre d’idée.
A.C. : Ou Baxter Dury, dont le nouvel album qui sort à la rentrée devrait encore élargir son public. Dans les révélations, il y a The Fat White Family, mais est-ce que c’est un groupe qui peut vraiment marcher ? Pas sûr, tant ils sont trash…
F.F. : Ils marcheront quand ils s’assagiront. Je les vois bien splitter assez vite, avec quelques membres du groupe qui feront autre chose, toujours avec un côté décalé, mais plus sage. Et là, ça marchera peut-être. Mais dans l’état actuel, ça me semble difficile… Sinon, je me passe en boucle l’album d’Hamilton Leithauser, le chanteur de The Walkmen. J’étais déjà un grand fan du groupe, pour moi c’était le meilleur concert de la Route du rock 2012. Il a une voix stupéfiante, l’album est magnifique et se bonifie à chaque écoute. Peut-être pas autant que le War on Drugs qui est incroyable, mais il a le potentiel de devenir un crooner à la Sinatra. Et puis, dans les anciens, les mythiques, j’attends beaucoup de Slowdive (photo ci-dessus) : d’après ce qu’on nous en a dit, ils ne se contentent pas de dérouler la setlist, il y a vraiment quelque chose qui se passe.

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