“The Raven’s Empire” (2012), troisième album en date et troisième réussite successive d’Oddfellow’s Casino, nous avait déjà bluffés par la capacité de David Bramwell à maintenir une vraie continuité dans l’excellence. Aujourd’hui, à l’écoute de ce nouvel effort produit par Julian Tardo (Fear of Men, Fujiya & Miyagi) et soutenu par les activistes de Microcultures, notre homme ne semble toujours pas en proie à une quelconque pénurie d’inspiration. A travers ce majestueux “The Water Between Us”, le songwriter de Brighton voit même encore plus grand, poussant plus avant les vastes ambitions de son Casino fantastique.
L’envergure instrumentale de “Wild Waters” frappe d’emblée, donnant le ton d’un disque marqué comme ses devanciers par l’héritage combiné de deux géants britanniques, Robert Wyatt et Mark Hollis. Du premier, Bramwell a conservé le goût du mystère, de la fantaisie raffinée et du refus obstiné de toute banalité. Du second, il a appris l’art délicat de conjuguer élégance et retenue, s’appropriant l’espace dans le détail sans pour autant le saturer. Le sentiment profond d’humanité qui se dégage des dix compositions de “The Water Between Us” pourrait de même suggérer une version plus intimiste des Mancuniens d’Elbow.
Guère friand de la notion de « concept album », renvoyant inévitablement aux pires clichés du rock progressif, l’Anglais reconnaît néanmoins que les idées qui ont servi de base à ce nouvel ouvrage se sont développées autour d’une thématique commune : l’eau. La musique proposée ici est précisément à l’image de cet élément versatile qui, sous des apparences paisibles (“Stone Riders”, “We Lose Ourselves” ), peut être sujet à toutes sortes de variations (l’agité “Strange Love”, dont les premiers soubresauts se déploient dans de beaux élans morriconniens).
Semblable au danseur de tango évoqué sur “The Lighthouse Keeper”, sommet mélancolique exposé en conclusion, David Bramwell est de la race des génies solitaires. Artisan négligé par le plus grand nombre, il reste pourtant un point de repère infaillible, une valeur sûre à laquelle nous pouvons nous raccrocher sans nous exposer à la moindre déception. Quatrième pilier d’un édifice sans équivalent dans la pop moderne, “The Water Between Us” est l’un de ces rares albums pour lesquels on se risquera à utiliser le terme, trop souvent galvaudé, de chef-d’œuvre.