1984 : j’ai 16 ans et j’emprunte à la discothèque municipale de mon quartier « Pacific Street », le premier album des Pale Fountains, tout jeunes Liverpudliens fans de Love et de Burt Bacharach (dont j’ignore encore tout à l’époque). Coup de foudre immédiat pour ces chansons aux mélodies lumineuses, aux influences pop, jazz et latines, portées par des arrangements de cordes et de cuivres à la luxuriance anachronique dans le contexte musical ambiant et par la ferveur juvénile du chant de leur leader Michael Head. « Pacific Street » fait partie des rares albums qui, à l’instar du « 16 Lovers Lane » des Go-Betweens, me procurent les mêmes frissons et le même émerveillement à chaque écoute, même trente ans après leur découverte. Hélas, la carrière des Pale Fountains tourna court dès l’année suivante après un deuxième album excellent mais au son plus rugueux et à la séduction moins immédiate. Michael Head et son petit frère John ont poursuivi l’aventure sous l’identité de Shack, fournissant à intervalles plus ou moins réguliers des albums parfois inégaux mais contenant tous leur lot de pépites immaculées.
Entre addictions diverses et déboires avec ses labels, Michael Head est désormais le prototype de l’artiste culte, ignoré du grand public, mais vénéré par quelques milliers de fans, fédérés autour du site Shacknet et de son forum. C’est d’ailleurs Matt, instigateur du site, qui est à l’origine du retour aux affaires de notre héros, après un hiatus de sept ans depuis le dernier album de Shack. Désormais sans son frangin (qui a son propre projet musical), mais accompagné d’un nouveau groupe, The Red Elastic Band, Michael Head a sorti à l’automne 2013 sur le label Violette Records, fondé pour l’occasion par Matt, un EP de cinq titres de haute volée dont les 1500 exemplaires se sont arrachés comme des petits pains, et donné dans la foulée deux concerts sold out à Liverpool et Manchester. Il était donc impensable pour moi de rater ce concert organisé à Londres le 21 mars dernier dans le cadre grandiose de l’église néo-gothique de l’Union Chapel d’Islington.
Un concert de Michael Head, c’est aussi une sorte de réunion de famille (les filles de Michael seront d’ailleurs au premier rang pendant tout le concert). Avant que les premières notes n’aient résonné sous la coupole de l’Union Chapel, on y fait la connaissance de visu d’amis virtuels comme Pascal, graphiste français de Violette Records, et Hiro, fan japonais venu presque spécialement d’Osaka pour assister au concert (auquel Michael rendra hommage au milieu du set), on discute aussi avec des Anglais étonnés du nombre de Français présents ce soir.
L’affiche de la soirée, constituée entièrement d’artistes liverpudliens, conforte cette ambiance. La première partie est assurée par l’inconnu Paul Orwell. Avec son look sixties à la Jacco Gardner et accompagné d’un deuxième guitariste, il délivre un set acoustique impeccable aux influences évidemment… sixties. Les chansons sont excellentes, l’interprétation est parfaite, c’est une petite révélation dont on devrait entendre parler prochainement. Ajoutez à cela que son comparse ressemble franchement à Neil Young jeune et que lui-même a de faux airs de Mick Jagger, et on a l’impression troublante d’être tombé dans une faille spatio-temporelle et d’assister à la prestation d’un super groupe imaginaire des… sixties.
En deuxième partie, Bill Ryder-Jones, ex-guitariste de The Coral, accompagné d’un batteur. Une prestation nonchalante mais non sans charme, l’ambiance des morceaux fait souvent penser au Velvet Underground alangui du troisième album, le chant doit beaucoup à Ian McCulloch (il reprend d’ailleurs « Ocean Rain » d’Echo & the Bunnymen). Il conclut en beauté avec une reprise d’un vieux titre de Shack, « Neighbours » (extrait de l’album miraculé « Waterpistol »).
Il est 21 h, Michael Head et ses musiciens entrent en scène sous l’ovation du public. Michael est à la guitare acoustique 12 cordes, accompagné du triptyque traditionnel guitare electrique-basse-batterie ainsi que d’une section de deux cuivres. On reconnaît de fidèles accompagnateurs comme Pete Wilkinson de Shack à la basse et Andy Diagram, trompettiste déjà présent sur « Pacific Street ». Le concert commence par un nouveau morceau dont les premières mesures rappellent beaucoup « Everybody’s Talking » de Fred Neil, ce qui n’est pas un mal. Michael, vêtu d’un tee-shirt John Coltrane, tricote sur sa 12-cordes, le groupe l’accompagne tout en délicatesse, en accord avec la douceur de son chant qui fait penser à celui d’un Chet Baker version folk-pop. Deux autres inédits suivent, qui augurent bien de l’album en projet. Michael semble très ému par l’accueil du public, on le sent aussi un peu stressé, il fera reprendre le début de deux chansons au cours du concert mais sans se départir de sa bonne humeur.
Il plaisante pas mal avec le public entre les chansons, malheureusement son accent du Nord assez prononcé m’empêchera de tout saisir. Après ces trois inédits, il enchaîne avec trois titres du EP « Artorius Revisited » de 2013, toujours en douceur avec « Lucinda Byre » et « Cadiz », puis l’ambiance s’échauffe avec l’enlevé « Newby Street » et ses trompettes mariachis, qui a l’étoffe d’un tube. Suit « Bicycle Thieves », seul titre des Pale Fountains interprété ce soir. Le groupe s’éclipse et laisse Michael seul avec sa guitare pour trois des plus belles chansons de Shack: « As Long as I’ve Got You », « Al’s Vacation » et « London Town ». Il ne manque qu’une version d' »Undecided » (pour moi, la plus belle chanson de Michael Head avec sa sublime mélodie médiévale) pour que l’extase soit totale.
Le groupe revient pour un autre titre phare de Shack, « Meant to Be » où les trompettes peuvent à nouveau s’en donner à coeur joie ! Deux autres inédits suivent, et la première partie du concert s’achève avec le psychédélique « The Prize ». Bill Ryder-Jones, à l’harmonium, se joint au groupe pour les rappels. Une nouvelle version de « Velvets in the Dark », le premier titre joué au début du concert, est suivie d’un titre méconnu de Shack, « Flannery ». Un second « Newby Street » met à nouveau le feu à la salle, puis le groupe quitte la scène et laisse Michael interpréter seul avec Bill Ryder-Jones « Something Like You », classique tiré de l’unique et « magique » album de Michael Head & the Strands.
Quand les lumières se rallument, l’émotion est encore palpable dans la salle. Emotion d’avoir vibré au son des chansons de Michael et d’avoir assisté à la renaissance d’un des plus grands songwriters de l’histoire de la pop music. Mais aussi tout simplement l’émotion d’avoir partagé ce moment avec Michael, ses musiciens et l’ensemble du public présent ce soir. Il n’y a plus qu’à souhaiter que cette soirée soit le prélude à une plus large reconnaissance publique pour un génie méconnu. Après le miracle Rodriguez, on peut rêver !