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Interviews

Florent Marchet – Interview (2e partie)

Suite et fin de notre interview de Florent Marchet, après un premier volet publié la semaine dernière. Où l’auteur de « Bambi Galaxy » jette un regard bienveillant voire admiratif sur la jeune scène française, rend hommage à ses aînés et à ses pairs écrivains, et nous donne quelques nouvelles de La Fiancée. Un garçon bien.

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Tu faisais de la musique depuis longtemps, mais tu n’as sorti ton premier disque qu’à 29 ans, à peu près le même âge que Miossec et Silvain Vanot. Quel regard poses-tu sur tous ces nouveaux groupes français, aux musiciens parfois très jeunes, mais qui semblent avoir déjà intégré toutes les règles, être très au point, et conscients qu’il y aura beaucoup d’appelés pour peu d’élus ?

Florent Marchet : Effectivement, c’est un phénomène nouveau en France. Chez les Anglo-Saxons, il y a toujours eu une maturité que nous n’avions pas chez nous. Il faudrait creuser la question, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a actuellement un véritable bouillonnement en France. Peut-être que la pratique musicale s’est démocratisée, que les groupes commencent plus tôt… Aujourd’hui, le niveau général est très bon, il y a une vraie culture du son. Le problème, c’est que pendant longtemps, cette culture était l’apanage des Anglo-Saxons. On connaît la fameuse phrase : « Les Français savent faire du vin… » (et les Anglais savent faire du rock, ndlr). Aujourd’hui, les Anglais savent faire du vin (sourire), et nous, on a des groupes qui sont vraiment performants. C’est peut-être le bon côté de cette fameuse crise du disque : aujourd’hui, les artistes sont conscients qu’ils doivent être autonomes, pouvoir produire eux-mêmes leur musique, au moins au départ. Ils se doivent de maîtriser les outils technologiques pour proposer rapidement leus morceaux. Qui, aujourd’hui, peuvent toucher un large public sans passer par un producteur, un distributeur, parfois simplement en étant mis à disposition sur Internet. Bien sûr qu’il y a très peu d’élus, et prétendre que c’est facile serait mentir, mais en tout cas c’est possible de se distinguer. Je pose évidemment un regard bienveillant sur tout ça. Je note aussi le retour d’un phénomène de groupes, ou de collectifs. Il y a moins de chanteurs, peut-être parce qu’on a l’impression qu’ils sont davantage liés au système, ce qui pourtant n’est pas forcément le cas. Généralement, un chanteur solo qui arrive aujourd’hui n’est pas vu comme quelqu’un d’indépendant.

Tu as fait appel à plusieurs de tes aînés pour apparaître sur tes disques : Miossec, Katerine, Dominique A, même Jane Birkin. Que réprésentent-il pour toi, y a-t-il une idée d’affirmer une filiation, ou un compagnonnage ?

Des gens comme Miossec, Dominique A et Philippe Katerine ont été comme des grands frères, ils ont décomplexé toute une génération et ont redoré le blason de la chanson française à un moment où elle en avait vraiment besoin. Ils écrivent des textes très singuliers, personnels, intimes. Leurs albums ont vraiment changé ma vie. Donc, que ces aînés acceptent de venir chanter sur les miens, ça me fait bien sûr très plaisir. Jane Birkin, c’était différent. Bien sûr, j’ai été séduit par la Birkin gainsbourienne, son côté icône, “Melody Nelson”… J’aime beaucoup ses productions de cette période. Au-delà, j’apprécie la femme engagée, d’une éternelle jeunesse. C’était la personne idéale pour incarner ce personnage. J’aimais qu’il y ait une ambiguïté, qu’on ne sache pas si c’est une mère, une amante qui passe un ultime coup de fil… C’est une belle artiste, comédienne, chanteuse. Ça c’est fait de manière assez simple : elle a écouté la chanson, l’a aimée et est venue chanter sa partie à la maison. C’est toujours un plaisir que de partager quelque chose avec d’autres artistes, comme quand j’ai repris « Des hauts, des bas » de Stephan Eicher avec Gaëtan Roussel. On passe beaucoup de temps seul, à écrire des chansons, et peu de temps à se rencontrer, à échanger. C’est quelque chose qui me manque un peu, vu que je fais peu d’émissions de plateau ou de tournées genre Les Enfoirés… Les artistes qui ne sont pas dans cette sphère ne se croisent pas trop, et c’est dommage. Donc je saisis toutes les occasions de faire des collaborations pendant les enregistrements, les concerts…

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En parlant de collaboration, tu as beaucoup travaillé avec Arnaud Cathrine. Tu as l’impression de faire d’une génération d’artistes plus proche des écrivains que les précédentes ?

Ces liens entre chanteurs et écrivains ne sont pas si nouveaux : regarde Boris Vian, Saint-Germain-des-Prés, Ferré qui chantait Aragon, Sagan qui a écrit des chansons… Il me semble que jusqu’aux années 70, la chanson « à texte » était considérée comme un genre noble. Elle devait avoir du sens, une vraie écriture. Peut-être qu’après, dans les années 80-90, ça s’est perdu pour des raisons, disons… mercantiles, ce qui n’a pas empêché pour autant qu’il y ait de très beaux disques, bien écrits… Mais c’est vrai que quand j’ai commencé, on était encore dans les années “Obispo-M6” et j’avais presque honte de dire que je faisais de la chanson ! (sourire) Je disais plutôt : « Je suis musicien, j’écris des textes aussi. » Si je disais que je faisais de la chanson, certains me répondaient : « Ah oui, de la variète… T’essaies de faire du blé, en gros. » J’ai été rassuré en découvrant Murat, Dominique A, Miossec, Katerine, et en me rendant compte ensuite que pour toute une génération d’écrivains, ces gens-là étaient des références majeures. Tout d’un coup, ça faisait du bien ! Je ressentais même comme une petite fierté, moi qui manquais de confiance, qui me disais que je pratiquais un art mineur, un sous-genre. Cette reconnaissance par des écrivains signifiait que la chanson était aussi un genre littéraire, sans renier pour autant sa dimension pop. Quand on s’est rencontrés dans des festivals où de jeunes écrivains invitaient des chanteurs pour lire des textes, on s’est rendu compte qu’on était vraiment « frères de culture », qu’il y avait en tout cas des passerelles évidentes. Pour moi, la prise de conscience de ce décloisonnement entre les disciplines artistiques a été essentielle. Il me semblait possible, et surtout nécessaire. Le problème de la chanson, c’est peut-être que pendant des décennies, elle a cherché son inspiration dans la chanson elle-même, ce qui a fini par donner quelque chose de consanguin. Ce n’était pas forcément le cas avant : on parlait de Saint-Germain-des-Prés, à l’époque il y avait déjà une sorte de décloisonnement, des musiciens de jazz ou même des compositeurs de musique contemporaine allaient travailler avec un écrivain ou un immense poète pour écrire des chansons pour Juliette Gréco, par exemple. Et Gréco était considérée comme une grande dame… ce qui n’est pas le cas de Lorie. (rires)

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Ton premier album avait été nommé au Prix Constantin, avait reçu le prix coup de cœur de l’académie Charles Cros ainsi que le prix du FAIR. Tu as l’impression d’avoir été dès le début accepté à la fois par le monde de la chanson/variété et par un public plus rock indé, écoutant plutôt des artistes anglo-saxons, qui a senti qu’il partageait des références avec toi ?

C’est vrai que dès le départ, j’ai eu des parrainages rassurants, ceux de Bernard Lenoir sur France Inter et de JD Beauvallet aux “Inrocks”. Ça me faisait particulièrement plaisir, car même si, à l’évidence, on aimait un peu les même choses, je n’étais pas sûr que ma musique puisse les toucher. Je n’étais pas forcément en accord sur tout avec les gens du milieu indépendant, mais globalement, on a pas mal de choses en commun. Si on a besoin de reconnaissance à ses débuts, celle-ci me semble la plus essentielle. Etre reconnu par une famille de mélomanes indie pop, même si ça fait un peu caste. Je me suis rendu compte que ces gens pouvaient être excités comme un enfant de quinze ans en écoutant des albums alors qu’ils en ont quarante. Je crois que c’est ce qu’on va chercher dans la musique, et dans la culture en général : quelque chose qui nous anime.

Pour terminer, as-tu des nouvelles de Claire, dite La Fiancée, avec qui tu avais collaboré et dont on attend toujours le premier album après sa belle série de maxis ?

J’ai des nouvelles fraîches puisqu’elle a participé à ma tournée de Noël, en décembre dernier donc, et qu’on se voyait tous les jours… Elle avance, elle écrit des chansons, mais elle a aussi une activité de styliste qui lui plaît et qui lui prend beaucoup de temps. Elle hésite sans doute à sacrifier ça pour se consacrer pleinement à la musique, parce qu’elle est consciente de la difficulté à en vivre. Moi, j’ai en quelque sorte la chance de ne savoir faire que ça, de n’avoir qu’une seule corde à mon arc (rires). Du coup, je ne me pose même pas la question, je sais que ma vie, c’est ça. Mais pour en revenir à Claire, les gens qui l’entourent, dont moi, font tout pour qu’un album puisse exister. Je ne peux pas dire quand, mais crois-moi, on est très nombreux à lui poser la question. (sourire)

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