Le Week-End Fest, à Cologne, est le genre de (mini-)festival qui n’a pas vraiment d’équivalent en France. Ce qui s’en rapprocherait le plus dans l’esprit serait peut-être le BBmix à Boulogne-Billancourt (quelques personnes sont d’ailleurs impliquées dans les deux manifestations, et pas mal d’artistes ont joué aux deux), ou, à une autre échelle, l’ATP. Au programme, pas mal d’artistes culte et inclassables, ayant pour la plupart commencé leur carrière dans les années 90, voire 80, voire… à la fin des 70’s. Une tendance particulièrement prononcée cette année où le festival, resserré sur deux jours au lieu de trois, avec seulement une dizaine de noms, avait des allures de leçon d’histoire indie. De quoi convaincre de faire l’aller-retour en Thalys depuis Paris.
Nous n’avons pas pu assister à la première soirée (avec Yuck, Grant Hart et The Fall, ces derniers ayant livré un concert convaincant quelques semaines plus tôt à Paris), dont un témoin de confiance nous a dit beaucoup de bien. On peut d’ailleurs en trouver quelques extraits sur YouTube, notamment le duo entre Grant Hart (qui se produisait seul) et son invité Robert Forster, ex-Go-Betweens, sur le magnifique “2541” (morceau écrit par le premier, et repris par le second dans les années 90).
La seconde soirée était au moins aussi alléchante, avec dans l’ordre Mirel Wagner, The Pastels, Young Marble Giants et, de nouveau, Robert Forster. Contrairement à la veille, la salle est en places assises ; arrivés tôt, nous trouvons facilement des sièges et avons le temps de musarder au merchandising. L’endroit, un peu excentré quoique facilement accessible en tram, est plutôt agréable pour peu qu’on aime le style années 70 – un côté un peu désuet somme toute raccord avec la programmation. Le public, on s’en doute, compte d’ailleurs plus de quadras, voire quinquas, que d’adolescents et de hipsters, et personne ne se sent obligé de faire semblant d’être jeune.
Quand Mirel Wagner arrive sur scène peu après 19 h, précédée comme tous les autres artistes d’une présentation enthousiaste par l’organisateur Dave Doughman (du duo Swearing at Motorists), la salle, assez grande, est encore loin d’être pleine. Ce qui est sans doute préférable, car la musique très dépouillée de la Finlandaise d’origine éthiopienne, seule avec sa guitare acoustique, paraît plutôt destinée à une écoute en petit comité. Un peu folk, un peu blues, mais surtout extrêmement personnelles, ses chansons à l’encre très noire vont chercher les émotions au plus profond. A 25 ans, Mirel Wagner pourrait être la fille de la plupart des musiciens programmée ce soir-là, mais sa gravité – jamais affectée – ne correspond pas forcément à l’idée qu’on se fait de la jeunesse. On pense à une version plus brute de la regrettée Barbara Gosza, autre exploratrice des tourments de l’âme. Et les nombreux titres inédits joués ce soir-là montrent que l’inspiration n’est pas près de se tarir.
Le changement de plateau nous donne l’occasion d’aller boire une bière… espagnole (une Estrella, le sponsor du Primavera Festival) et de jeter une oreille à un quatuor de Munich au nom curieux, Katie Smokers Wedding Party, qui se produit dans le foyer. L’acoustique n’est pas franchement optimale, mais leur pop indé aux accents new wave s’avère plutôt accrocheuse.
On n’aurait pas forcément cru, il y a quelques années, qu’on verrait en 2013 les Pastels live deux fois en l’espace d’à peine cinq mois. Et pourtant, après Rock en Seine, les voici au Week-End Fest, une manifestation sans doute plus en phase avec leur statut (et là, au moins, pas de Franz Ferdinand sur la grande scène leur faisant concurrence avec une sono écrasante). C’est la même formation qu’en août, avec Gerard Love du Teenage Fanclub à la basse, des claviers, de la trompette et de la flûte traversière. Le groupe revisite une grande partie de son erratique carrière, du rock volontiers amateur, brouillon et parfois bruyant de la fin des années 80 à la musique apaisée, pastorale et plus mélodieuse qu’il produit aujourd’hui.Si, dans le passé, les Ecossais pouvaient pécher par un excès d’amateurisme, ils sont devenus relativement professionnels au fil des ans. Certes, les voix sont toujours à la limite de la justesse, Stephen Pastel n’est pas d’un charisme affolant et un problème avec sa guitare l’obligera à stopper « Baby Honey » au bout de quelques secondes, avant de le reprendre. En outre, le groupe manque de nous priver du génial « Nothing to Be Done », joué en dernier, certains musiciens croyant être arrivés au bout du temps imparti. Pas de quoi pour autant nous gâcher le plaisir, et le public dans son ensemble est visiblement ravi.
« Young Marble Giants playing ‘Colossal Youth’ », précisait l’affiche, comme si les Gallois, dont c’est l’unique album, pouvaient jouer autre chose. Trente-quatre ans après sa sortie, on retrouve donc dans le désordre, mais quasiment intactes, les sublimes miniatures de ce disque marmoréen, plus quelques morceaux épars comme « Ode to Booker T. » ou « Final Day ».
Stuart Moxham est malade, explique Alison Statton, et il sue d’ailleurs comme un bœuf, mais la performance ne s’en ressent pas. Aucune surprise, bien sûr, des versions à peine étoffées même si un troisième frère Moxham remplace la boîte à rythmes du disque, mais toujours autant d’émotion à l’écoute de ces chansons de peu, sur lesquelles le temps n’aura jamais prise.
On n’avait pas eu beaucoup de nouvelles de Robert Forster depuis le décès brutal de son alter ego des Go-Betweens, Grant Mc Lennan, en 2006, et la sortie deux ans plus tard d’un album solo, « The Evangelist ». On s’attendait donc à des retrouvailles chaleureuses avec l’auteur de quelques-unes de nos chansons préférées, mais pas forcément à un concert aussi intense et musicalement ambitieux que celui auquel on a eu le privilège d’assister.
Car l’Australien (installé un temps en Allemagne, peut-être y réside-t-il toujours ?) n’est pas venu seul avec sa guitare. Il a demandé à Jherek Bischoff, multi-instrumentiste surdoué basé à Seattle, de l’accompagner à la basse et à la contrebasse, et surtout de réarranger une dizaine de chansons couvrant toute sa carrière pour un quatuor de cordes. Après deux morceaux solo, puis deux autres avec Bischoff, les jeunes musiciens, originaires de divers pays, rejoignent le duo. Ils n’ont pu faire que deux répétitions, mais ils apparaissent aussi appliqués qu’impliqués, et l’ensemble tient parfaitement la route.
Le concert, déjà magnifique, prend alors une tout autre dimension : un rêve de pop de chambre, où chaque note, chaque mot semblent l’expression de la beauté la plus pure. Malgré les tenues de soirée, rien de cérémonieux, de compassé néanmoins : tout le monde sourit, et Forster s’avère un showman toujours aussi expressif, jouant avec malice de son élégance un peu surannée. Il n’a peut-être jamais aussi bien chanté, et des morceaux des Go-Betweens comme « The House That Jack Kerouac Built », « The Clarke Sisters » ou « Draining the Pool for You » gagnent encore en tension et en magnificence avec le renfort des cordes. Dans un esprit convivial bien à l’image du festival, Mirel Wagner et le Californien Mike Donovan (qui se produisait dans le foyer lors du changement de plateau précédent) sont invités à faire des choeurs chacun sur un morceau.
En rappel, « Spring Rain » rend un bel hommage à Grant McLennan, avant que la formation au complet ne conclue le set en jouant « Here Comes a City » pour la deuxième fois de la soirée (faute d’avoir répété davantage de morceaux). Grand bonhomme, grand concert, grand week-end : autant dire qu’on ne regrette pas le déplacement.