Et si, une fois n’est pas coutume, le plus grand album de l’année était à chercher dans le rayon un peu clinquant de la neo soul et du R’n’B ? Laura Mvula, la jeune Anglaise d’origine caribéenne auteur de la merveille qu’est « Sing to the Moon » a vite été comparée à la regrettée Amy Winehouse par la presse britannique – plus par nécessité précipitée de lui trouver une descendance que par réelle filiation artistique. S’il fallait rapprocher la musique sans pareil de Mvula à celle d’une autre artiste « soul », on penserait surtout à Nina Simone, dont elle est fan : texture vocale comparable, musique également libre comme l’air, inclassable, devant autant à la black music au sens large qu’au classicisme européen.
Il est aussi possible de voir en Laura Mvula une sorte de Brian Wilson au féminin. Son album, elle l’a enregistré suite à une sévère dépression et l’on ressent à son écoute un mélange rare et précieux de mélancolie et de félicité. Le genre de sentiment qu’on éprouve à l’écoute de « Pet Sounds » des Beach Boys auquel « Sing to the Moon » pourrait être l’écho soul. Les compositions coulent de source et pourtant, musicalement, il se passe des choses incroyables, des suites d’accords qui doivent beaucoup au jazz, des arrangements orchestraux dignes de Gil Evans, des mélodies à tomber par terre, des harmonies vocales folles. Et des paroles simples et essentielles, comme ces vieux gospels que Mvula a chanté durant son enfance à l’église pentecôtiste du quartier : « Is there anybody out there? Who knows? I won’t make it out here alone ».
Ecouter et réécouter « Sing to the Moon », c’est prendre du recul sur la production musicale actuelle et remettre les choses à plat. Combien de disques aura-t-on entendu cette année avec autant d’inventivité, d’inspiration, de profondeur et dotés d’une aussi forte identité – tout genre confondu ? Peu, c’est certain. De la divine et radieuse ouverture qu’est « Like The Morning Diew » au planant et luxuriant « Diamonds » refermant l’album, tout concourt à faire de « Sing to the Moon » un chef-d’oeuvre on ne peut plus accueillant : « You can’t live with the world on your shoulders / Take my hand and you’ll see love will find us / You’ve been lost in a dark place a long time / Now I’ll find you, I’ll stay here and hold you » chante Mvula sur le classieux et bacharachien « Can’t Live With the World ». Ce serait pécher que de décliner cette invitation.