C’est dans le cadre du dispositif Tour de Chauffe, dont on vous parlait récemment, que se produisaient Mathieu Boogaerts et les régionaux de l’étape Lutucru.
Pourtant un peu perdu à la frontière belge, et au milieu d’un lotissement, à Comines, au-dessus de Lille, le Nautilys, beau petit bâtiment à l’architecture audacieuse, faisait salle comble ce samedi.
Le public, assez familial mais de tous poils – de cinq à soixante-cinq ans, si si – est assez hétéroclite mais très attentif, y compris à la première partie, Lutucru, sélectionné par Tour de Chauffe, donc. Avec leur nom biscornu, leurs références chanson française et leur entrée en scène un peu timide, j’avoue que je ne donnais pas forcément très cher de leur set. Le trio, pourtant, dépassera bien des attentes : après deux chansons dans une tradition « je joue avec la sonorité des mots, c’est rigolo », les morceaux partent dans des directions plus inattendues, plus intimistes aussi, où la chanteuse-guitariste, Lucille, bien épaulée par un bassiste et une claviériste sobres mais efficaces, emmène le set dans une autre dimension, où priment l’originalité et la fantaisie. Il y a chez elle un je-ne-sais-quoi de rohmérien tout à fait charmant et spontané, une liberté scénique qui tranche avec la relative modestie du dispositif, tout en s’en contentant – refusant au passage, malgré une guitare électrique, la tentation du bruitisme et de la distorsion à tout va. Elle finira par franchement nous émouvoir avec une chanson italienne, Non ho l’età, qui remporta l’Eurovision en 1964, apprend-on…
Le public ne s’y trompe pas, qui offre au groupe une ovation méritée – autant de ferveur pour une première partie, c’est rare…
Arrive Boogaerts, désormais vieux briscard des scènes françaises, très à l’aise, et très content d’être là. Nous aussi. Seul, avec sa Telecaster et son T-shirt rose, il offre au public ce qu’un public boogaertsien attend : des petites vignettes de trois minutes déroulées sans effets de manche, quelques blagounettes, et une complicité de tous les instants. Il faut avouer que ça marche – même si (c’est vraiment histoire d’être un peu snob, mais on conviendra que ce n’était pas le lieu) son jeu de guitare saccadé peut lasser au fil des chansons ; en tout cas le public a l’air de bien connaître les morceaux, et reprend les refrains et autres gimmicks vocaux avec application. Il faut bien admettre que c’est assez fédérateur, et que l’émotion pointe franchement le bout de son nez sur les morceaux les plus mélancoliques. De temps en temps il teste sur le public un morceau qu’il veut proposer à une certaine Luce, ou à Liane Foly. Succès garanti.
Quand même, je me demande si Mathieu Boogaerts ne devrait pas prendre un peu de graine de ses ouvreurs d’un soir, Lutucru, et ne pas trouver quelque échappatoire à un set enthousiasmant et généreux, mais un peu trop huilé peut-être, à force de naviguer sur le même registre. Évidemment c’est faire la fine bouche, parce que Mathieu, qui, après les rappels, viendra faire un petit sondage dans la salle – Qui est belge ? Qui est de Lille ? Qui est de Comines ? – emportera le morceau – il avait le public depuis longtemps dans la poche. Mais c’est là aussi l’un des principes de Tour de Chauffe – permettre à des artistes confirmés et amateurs de se rencontrer… et de partager des expériences – dans les deux sens.