Le programme de la soirée du Rocher de Palmer promettait de brasser généreusement styles et esthétiques. D’un côté, le désormais grand Alex Beaupain, auréolé d’un succès sans cesse croissant, et de l’autre les jeunes Bordelais de Bengale qui ouvraient la soirée à la faveur d’un tremplin musical.
Ils ne s’en sont pas laissés compter, les quatre de Bengale. Moi qui ne les avais pas vus depuis plus d’un an, j’ai retrouvé un groupe plus léger (4 membres au lieu de 6), plus solide aussi sur les fondations de sa pop jamais uniforme, tantôt teintée de hip-hop, parfois très funky. Le groupe retombe toujours sur ses pattes, arrive à faire réagir la salle (avec des spectateurs assis, c’est remarquable) sans forcer. Bengale est un quatuor de tigres, qui passent du calme à l’énergie la plus sauvage en un clin d’oeil, qui savent aussi s’amuser sur scène (petites chorégraphies) et distiller quelques pépites pop irrésistibles (« Ocean Sun », « Le dernier tramway », « Vodka pomme »), qui laissent à penser que les griffes de ces tigres ont tout pour rester acérées à souhait.
Alex Beaupain prend la suite et débarque presque sans crier gare. Il se place au milieu de la scène, entouré de ses quatre musiciens, et le charme opère de suite. La séduction semble être une constante chez le chanteur, qui alterne ses chansons pleines de mélancolie, voire de tristesse, avec un cabotinage très réussi, et des vannes ayant pour fil directeur Kaamelot ou un personnage de diva venu éclairer la « province » : fort bien jouée, cette comédie prête à sourire et sert le spectacle. Il fait ainsi de la place pour ses chansons en écartant ses musiciens au fur et à mesure, dénudant à chaque fois un peu plus ses textes, si beaux, si sensibles. L’amplitude des chansons n’empêche pas la constance de l’émotion, qui touche (« Baiser tout le temps », « Grands soirs »), fait rire, pleurer (je ne suis pas loin sur « Brooklyn Bridge »). Plein de gouaille, il raconte que Julien Clerc, qui lui a offert la mélodie de « Coule », s’inquiétait : « Est-ce que ce n’est pas un peu trop gai comme mélodie pour toi ? », mais jamais Beaupain ne glisse dans le pathos. Il explore généreusement un répertoire sans fausses notes, qui ne laisse pas indifférent une audience hélas réduite (environ 300 personnes, sur 650 de capacité maximale), qui a pu se régaler pendant une heure et demie. La clôture sur « Je suis un souvenir » parachève la démonstration d’un talent évident, qui a su renverser toute une audience : chapeau monsieur Beaupain, c’était un grand soir, vraiment.