1992. La plupart des majors et des petits labels ont délaissé le vinyle au profit du CD (album, EP ou 2 titres). Format phare de la musique populaire, le 45-tours est sur le déclin. Le Wedding Present est, lui, au sommet de sa popularité et de son inspiration, et, les bons soirs, donne des concerts incandescents. Plutôt que de publier un nouvel album, le groupe, l’un des leaders du circuit indépendant, propose donc à sa maison de disques RCA de sortir un 45-tours le premier lundi de chaque mois de l’année. En face A, un original ; en face B, une reprise, souvent inattendue. Le pari est audacieux : alors qu’il est encore possible à l’époque de vendre un album moyen sur la foi de deux ou trois morceaux accrocheurs passant en radio, David Gedge et ses acolytes se condamnent à mettre dans le mille à chaque fois. Et ils y arrivent : tous excellents, les douze singles tirés à 15 000 exemplaires se classent dans les charts britanniques. En France, Bernard Lenoir les passe dans son émission dès qu’ils sortent, et l’on suppose que sur la BBC, John Peel, grand fan du groupe devant l’éternel, fait de même.
2013. Peel a passé l’arme à gauche, Lenoir a pris sa retraite. Contre toute attente, le format 45-tours n’a pas disparu, et le vinyle connaît même une nouvelle jeunesse. Le Wedding Present aussi : depuis longtemps, Gedge est le seul membre d’origine, et s’entoure de musiciens qui auraient l’âge d’être ses enfants. Il continue à sortir des disques, plutôt dignes, mais est bien conscient que les fans restent nostalgiques d’un âge d’or dont l’année 92 marqua à la fois l’acmé et la fin (quoique “Take Fountain”, sorti en 2005 chez Talitres, soit sans doute l’un des sommets de sa discographie). Alors, comme cela se fait beaucoup aujourd’hui, il inclut dans chaque tournée un album joué in extenso. En cet automne 2013, c’est donc “Hit Parade”, titre de la compilation en deux volumes rassemblant les douze singles de 1992 (dans son introduction, David Gedge fait l’effort de prononcer l’année en français, avec quelque difficulté), qui est à l’honneur dans une Maroquinerie bien garnie. Avant d’entrer dans le vif du sujet, le groupe joue pendant une bonne demi-heure des titres de toutes les périodes, notamment de la dernière, et même un single encore inédit, “Two Bridges”. Histoire de dire que le Wedding Present n’est pas qu’un groupe du passé, même si “Brassneck” fait un meilleur score à l’applaudimètre.
Puis on entre dans le “Hit Parade”, et Gedge commence en savonnant le véloce riff d’intro de “Blue Eyes”, comme pour montrer qu’on est face à des musiciens humains, pas des machines. La suite se déroule sans accroc, à part le stage diving un peu foiré d’un fan. Le chanteur présente de temps en temps les morceaux, avec son habituel humour tongue-in-cheek. Cheveux courts, chemisette et jean noirs, ne faisant pas ses 53 ans, dédicaçant des disques à l’entrée de la salle dix minutes après avoir quitté la scène, il semble toujours aussi “normal” (il est vrai que faire une licence de maths à Leeds dans les années 80 semble l’exact opposé du rock’n’roll lifestyle). A un spectateur réclamant les faces B, il répond qu’on en aurait pour la nuit, et qu’on va sans doute à la messe le lendemain matin, non ? (nous sommes samedi soir). Le groupe terminera pourtant son concert par l’un de ces morceaux, la reprise de “Pleasant Valley Sunday” des Monkees, dans une version à rallonge, juste après le toujours aussi touchant “My Favourite Dress”. Thanks for the Present.