Le dispositif est impressionnant ce jeudi dans la grande salle du lieu unique pour une soirée sobrement intitulée « Minimalisme », parce que faisant honneur au courant de la musique dite répétitive (l’héritage Reich, Glass) : vibraphone, piano, synthé, batterie, contrebasse, guitare, clarinette habillent superbement le vaste espace scénique. Surprise, ce sont les Américains renommés de Bang on a Can qui ouvrent pour les petits frenchies du Cabaret Contemporain (actuellement résidents au LU).
Le set est évidemment interprété d’une main de maître par ces musiciens d’exception déjà croisés un an auparavant ici-même aux côtés de Steve Reich. Au programme, trois superbes compositions de membres émérites de la formation américaine (David Lang, Michael Gordon, Julia Wolfe) suivi du toujours formidablement planant « Music for Airports » de l’incontournable Brian Eno. Et, belle surprise, pour terminer ce beau set contemplatif, un morceau composé par Thurston Moore de Sonic Youth. Voir ce « Stroking Piece #1 » intérprété devant nos yeux par la crème de la scène new-yorkaise constitue une expérience assez jubilatoire. L’impression d’assister à un bœuf improbable mais tout à fait excitant entre un Velvet Underground sous « Heroin » (la rythmique de batterie tribale à la Moe Tucker) et un John Coltrane forcément mystique qui aurait préféré la clarinette au sax. La classe, quoi.
Minimaliste, ce n’est certainement pas le terme qui vient tout de suite à l’esprit à l’écoute du set du Cabaret Contemporain. Les Français ont ce qu’il est coutume d’appeler un « gros son ». Un truc clairement rock, donc, même si plutôt « weird » dans le genre : batterie métronomique, petits riffs de guitare bien sentis, passés au travers de différentes pédales d’effet soutenus par deux (!) contrebassistes et un pianiste aux jeu pas très catholique – ça tapote, ça grince de partout. En clair, le Cabaret Contemporain maltraite ses instruments acoustiques comme Sonic Youth maltraitait jusqu’à il y a quelques années encore ses guitares électriques.
Il y a du krautrock dans le set des Français, dans cette volonté d’axer les morceaux sur une rythmique obsédante (mention spéciale au batteur imperturbable) et d’en réduire le plus possible la stricte musicalité (l’aspect minimaliste revendiqué, donc). A plusieurs moments, on s’imagine au milieu d’un sound system et on se lèverait bien de nos banquettes confortables pour danser comme des demeurés. On n’ose pas et on a tort : dans quelques mois, le Cabaret Contemporain va s’attaquer au répertoire hypnotique du génial Moondog et la cadence risque d’être nettement ralentie, mais la musique pas moins belle, c’est certain.