Il fallait de l’audace pour se lancer dans un projet aussi titanesque que la réalisation d’une compilation de 9 titres inédits, illustrés par autant de clips, tous uniques. Ce challenge, le mini-collectif Cat(s)fight l’a relevé en donnant de son temps et en ne comptant pas son énergie. Et si l’attente a été longue, l’objet rend parfaitement justice à l’ambition du départ.
Il est en effet important de noter que l’objet physique, qui a encore de la valeur au yeux de certains (dont je fais partie), flatte le regard et contribue au caractère unique du projet. L’univers mêle un caractère onirique et 9 dessins bruts qui font subtilement référence aux clips et au traitement retenu pour chacun, et donne encore un peu plus envie de se plonger dans l’univers de la compilation.
9 participants au projet, qui vont de R Stevie Moore à A.P. Witomski en passant par St Augustine ou Sutja Guttierrez, le décor est planté et témoigne déjà d’une certaine ouverture d’esprit et d’un éclectisme bienvenu. Celui-ci se retrouve aussi dans le traitement des images, car la cohérence entre images et musiques fait vite sens. D’une esthétique aussi sensuelle que glacée, A.P. Witomski et son « Sense of Conformity » ouvrent le bal, et de par sa position privilégiée, mais pas que, je crois bien que c’est mon titre préféré. Evoquant le meilleur de Depeche Mode, le titre se révèle étonnamment charnel et sauvage à la fois, à l’instar du « héros » du clip (je ne vais tout de même pas tout dévoiler non plus) : on s’attache, on vibre et on suit les vibrations du morceau qui donne terriblement envie d’en entendre plus.
R. Stevie Moore offre un « Lone » au folk-pop gentiment compressé, trituré, lo-fi jusqu’à l’extrême, et les images collent étonnamment à cette volonté de faire beaucoup en faisant peu, sans se préoccuper plus que ça de la forme. La forme, cela parle aussi à French Cowboy, qui s’est attelé à la réalisation de son clip pour illustrer « U Wanna Sing », imparable tube dance répétitif 8 bits, qui colle à la peau et dont l’aspect ludique (danse, etc…) ne cache pas une certaine audace de traitement dans l’image. Difficile de résister ou de ne pas s’y reconnaître. En plus, vous verrez, tous les types de danse sont autorisés…
Le reste de la compilation est entre de bonnes mains, même si les changements de ton sont fréquents. Mais comment ne pas être charmé par le folk de St Augustine, qui le temps d’un disque rappelle en toute modestie qu’il est un des meilleurs songwriters d’ici ? Il y a tout dans cette chanson : cette mélancolie qui affleure, ce petit côté Grandaddy dans les reflets pop, cette voix si profonde, et le tout se retrouve dans un clip qui reflète toutes ces dimensions au travers d’un objet et d’une réalisation dont il est facile de comprendre la durée : le résultat en valait la chandelle. La mélancolie, His Clancyness la fait quant à lui surgir dans cette superbe collection d’images Super-8, qui collent à une ballade électro-pop au long cours, d’une élégance de chaque instant.
Les références, elles, sont nombreuses aussi sur « Video Club » de Marc Desse, un authentique tube en puissance, seul titre en français et ballade à la fois nerveuse et sensuelle, au duo de voix particulièrement réussi. On se prend à guetter l’allusion à un film puis à un autre, porté par cette mélodie qui colle à la peau avec simplicité et une efficacité redoutable. Difficile de ne pas se laisser emporter non plus par la poésie du « You Are God » de Sutja Gutiérrez et ses poissons hypnotiques, de ne pas divaguer avec « Sea » de Les Filles et les Garçons, avec un bien étrange personnage central. Enfin, toujours dans une même veine, entre poésie et imagerie fantasmée, l’animation de « (Backing) the Wrong Horse » de Lozninger est tout aussi touchante.
Pour diversifié que soit le rendu, il ressort de cette compilation une impression de plénitude, de cohérence aussi. La forme ne prend jamais le pas sur le fond, les émotions, et les images nourrissent admirablement la brillante sélection musicale. « Songs From Another Room », certes, mais c’est bien dans votre chambre et plus encore que vous allez leur faire une place.