On ne comprend pas Starlito si l’on ne connaît pas un tant soit peu sa biographie. Celui dont le vrai nom est Jermaine Shute n’est, en effet, pas né de la dernière pluie. Vanté au milieu des années 2000 par Young Buck, seule star du rap originaire de sa ville de Nashville, celui qui se faisait appeler alors All Star, the Cashville Prince, et donnait dans une trap music de saison, décrocha un contrat chez Cash Money. Malheureusement, le label de Birdman et de Lil’ Wayne ne donna jamais suite. Aucun album ne sortit, et le rappeur, amer, et un temps dégoûté par le rap game, dut emprunter un chemin plus ardu, celui de l’indépendance, via sa propre structure, Grind Hard, celle-là même où il sort en 2013 ce très bon Cold Turkey.
Ce détour par l’underground permit au Cashville Prince de se réinventer. Il choisit alors son pseudonyme actuel, inspiré du film Carlito’s Way, et apporta sa pierre à une tendance actuelle forte, celle qui voit nombre de rappeurs sudistes troquer leurs fanfaronnades proverbiales pour un ton plus intime et plus confessionnel.
Les titres de ses mixtapes récentes, Post-Traumatic Stress et Mental Warfare, sont assez explicites : Starlito utilise désormais ses raps pour traduire ses pensées et ses désordres mentaux. Et il continue sur Cold Turkey. Parlant de ses amours difficiles (« No Rearview »), admettant que la rue n’est pas faite pour tout le monde (« Ain’t for Everybody »), il s’y montre vulnérable, à l’instar d’un Future, ou bien d’un Kevin Gates, par ailleurs convié sur l’album, qui y bénéficie d’un titre rien qu’à lui (« Luca Brasi Speaks ») et imprime fortement sa marque sur un autre (« Long Haul »).
Toutefois, contrairement à ces derniers, Starlito n’use pas du chant et des mélodies quand il s’exprime à cœur ouvert. C’est même tout le contraire : lui ne fait que rapper, d’une voix douloureuse, d’un flow mouvant et incertain, sur le ton de la conversation, limitant le recours aux refrains, allant jusqu’à terminer le disque par un long échange téléphonique. Il ne laisse d’autres styles s’imposer qu’avec ses invités, Kevin Gates, on l’a dit, mais aussi Young Dolph, Alley Boy, Freddie Gibbs, Devin the Dude, Killa Kyleon, son compère Don Trip, avec lequel il a sorti la recommandable mixtape Stepbrothers (2011), et quelques autres moins connus.
Les beats eux-mêmes ne sont pas des plus saillants, des passages contemplatifs et lents (« One Long Day », « No Rear View », « Luca Brasi Speaks », « Dumb High », « Ain’t for Everybody », « Rollin' ») dominant souvent les autres, plus synthétiques et enlevés (« Coolin' », « Sumn Serious », « Family Tithes », « About a Bitch »), à tel point que certains ont jugé la production plus faible sur cet album que sur les mixtapes. Mais c’est en fait tout le contraire : ces sons s’associent au mieux au profil bas de ce rappeur qui, dès l’introduction, s’estime « too real for the rap shit », trop sincère, trop honnête, trop sensible pour triompher vraiment dans ce grand cirque qu’est le monde du rap.
La réception sans cesse plus chaleureuse de chaque nouvelle mixtape et de chaque nouveau disque devrait, on l’espère ardemment, lui donner bientôt tort.