On avait tout lieu de craindre le pire. À part le splendide « Superwolf », alliant le chansonnier Bonnie Prince Billy aux guitares magiques de Matt Sweeney, on n’a jamais beaucoup aimé les disques de collaborationnistes et la présence de Will Johnson, abonné à ce type de projets (écouter, ou pas, le « Molina & Johnson »), n’était pas spécialement pour nous rassurer. Seulement voilà, Overseas, qui réunit les frères Kadane (feu-Bedhead, The New Year), David Bazan (Pedro The Lion) et Will Johnson (Centro-matic, South San Gabriel) est une petite merveille, le genre de disques courts, essentiels qu’on n’épuisera jamais tant ils sont un condensé de tout ce qu’on aime, bien plus qu’une passade à la mode. Oui, nous reviendrons à Overseas, comme nous revenons régulièrement aux grands disques de Bedhead et de The New Year. Des guitares comme celles de nos Texans, il y en a peu. D’ailleurs, un guitariste émérite me disait que les parties de guitare des Kadane sont toujours simples mais très intelligentes, d’où leur force et leur insinuation vicieuse dans le crâne.
Les frères Kadane sont évidemment à la manœuvre partout sur ce disque qui nous fait retrouver toute leur science du slowcore, sensible et épuré, quasi janséniste et qui nous les a toujours fait préférer aux mormons de Low. Si on avait eu des réserves sur le dernier The New Year qui avait un peu mis les guitares de côté, on retrouve ici, quasi intactes, les guitares tantôt brûlantes, tantôt lentes, du dernier chef d’œuvre de Bedhead, « Transaction de Novo ». En revanche, les leçons de batterie apprises auprès de Chris Brokaw semblent avoir porté leurs fruits (les graves toms de « The Sound Of Giving Way » comme un lointain écho de « The Door Opens »). Le titre « Old Love » porte en lui la synthèse des Kadane d’autrefois et d’aujourd’hui. Ajoutons à cela la voix grave de David Bazan et son texte rageur et amer : « Old love ain’t truer than new love. Old lovers just know what it means ». C’est, peut-être, ce qui déstabilisera le plus les amateurs des Kadane. Habitués aux voix fluettes, presque blanches de nos Texans préférés, ils pourront se sentir un peu déconcertés par les voix graves, voire rauque pour Johnson, des pourvoyeurs de textes.
Si on préfère les chansons de Bazan, quand il s’allie à la puissance des Kadane (« Down Below », sous un feu nourri) ou pour la douceur recueillie de savants entrelacs mélancoliques (« Here (Wish you were) » ou « HELLP »), Johnson, dans un registre plus folkeux, ne s’en tire pas trop mal, surtout lorsqu’il est tiré vers le haut par les copains, par exemple, dans la lente et sûre montée de l’ouverture, « Ghost to be », voire dans l’incandescente et pétaradante « Redback Strike », au milieu de laquelle il arrive à glisser une jolie plage folk apaisée.
Overseas « Ghost To Be » from Undertow on Vimeo.
L’accord parfait est trouvé avec « All Your Own », berceuse maligne dans laquelle les duos de voix rivalisent avec les serpents de guitares, claires, simples, magiques, sur un tapis d’orgue lointain, pour un atterrissage en douceur au paradis.