Depuis leur dernier album, « Angles » (mort – d’après beaucoup), les Strokes n’ont plus la cote, ils ont trahi, ils ne sont plus « rock », mais mollement new-wave, ayant – horreur ! – intégré des synthés à leur son. Le nouveau, « Comedown Machine » poursuit dans la même lignée et tend la seconde joue avec une abnégation soutenue. Rarement disque aura fait preuve d’un tel à propos dans son titre qu’on pourrait traduire – de biais – par « décadence mécanisée ». Et si c’était un bon tour (cf le pouffement à la fin de « Slow Animals ») ? Et si en 2013, c’était ça être rock, faire enrager ses fans ? (qu’y a-t-il de plus borné qu’un fan ?, un militant ?).
Tout commence par un malentendu : l’inaugural « Is This It », vite élevé au rang de mythe, disque infiniment agréable, contenant au moins deux classiques, mais qui n’en revisite pas moins le rock new-yorkais à cuir noir sur le mode de l’appartement-témoin. Tout est là, bien propre dans le genre sale, et à la portée de tous. Les Strokes accèdent dès leur coup d’essai à la première marche du podium, sonnez tambours, résonnez trompettes. Mais il n’est pas difficile de voir, derrière leurs dégaines de minets à abrasion bien née, l’ennui constitutif de leur frêle engeance. Adoubé par industrie-médias-public, les Strokes s’ennuient et sabotent leur deux albums suivants terriblement brouillons et peu inventifs, malgré la présence sur ‘First Impressions of Earth » de leur peut-être meilleur morceau, « You Only Live Once ». Soldent-ils les comptes ? La première fois, « était-ce bien ça » ? Le déclin en vue, reste à se réinventer. Julian Casablancas s’y entame avec un album solo à la fois branleur et couillu (si c’est possible), contenant un très amusant pastiche de New Order, « 11th Dimension ». Et puis, « Angles », l’album de la division, d’entre eux et d’avec leurs fans, un pot-pourri plutôt plaisant qui fait entrer en collision d’un morceau à l’autre bossa et Suicide, reggae et Hall & Oates. Album éclaté, ni aigu, ni obtus, « Angles » donne l’impression paradoxale qu’en reniant partiellement la vulgate rock qu’ils ont adoré, les Strokes s’ennuient un peu moins.
Ce que ne confirme pas le peu exaltant « Comedown Machine », comme si la recette précédemment trouvée avec « Angles » accusait déjà ses limites. En gros, nos minets vieillissants semblent égarés en pleine « sofiacoppolisation » du Monde (« Welcome to Japan » = Lost in Translation ?). Qui sait si Stephen Dorff, dans le pitoyable « Somewhere », n’était pas, quoique musculeux, un clone de Casablancas riche et las (« world-weary », comme on dit si bien en anglais). « Comedown Machine », pourtant varié, sonne bizarrement indistinct. On dirait du Phoenix jet-laggé, à plat, sans carburant pop. L’un des rares moments saillants, « Call It Fate, Call It Karma », somnambulise Casablancas en crooner de gramophone tandis que l’étrange « 80’s Comedown Machine » comate sous boîte à rythmes dépressive. Ce désir d’abrutissement rend plus flagrant la relative innocuité des saillies rock (« All the Time », « 50/50 »). Il fait même ressortir « One Way Trigger », premier extrait à avoir percé sous les huées, dont le charme à vau-l’eau (veau low ?), d’abord plus que volatil, s’insinue sur la durée.
« Comedown Machine », au final, semble cachetonner sous cachetons. Disque FM-largué, impossible, attachant par endroits, il semble appeler le crachat que nous lui refuserons pourtant, Pâques oblige, le réservant au probable decrescendo encore plus exténué qui ne manquera pas de suivre.