C’est une vieille histoire, celle de l’artiste décrié, méprisé, vilipendé en son temps, et auquel l’avenir a pourtant donné raison. A la fin des années 90, en effet, le succès de No Limit ne faisait pas l’unanimité. Avec son rap démagogique et ses productions de série, le label était alors considéré par certains comme une dégénérescence, comme un cancer. Oui mais voilà, 15 ans plus tard, et peu après que son fils a refondé le label, son patron, Master P, fait un comeback remarqué, et il est révéré comme un modèle par une génération qui se précipite pour collaborer avec lui, et déclamer à pleins poumons des « No Limit forever » !
Car en fait, qui a été l’un des premiers à porter le son et les artistes du Dirty South vers le triomphe ? Qui a forcé le trait à l’excès en matière de gangsta rap, annonçant le matérialisme caricatural du trap rap à venir et le premier degré jouisseur et jouissif de l‘ignorant rap ? Qui a privilégié l’efficacité à la bonne conscience artistique des rappeurs new-yorkais ? Qui a montré la voie en créant de toutes pièces son entreprise artisanale et quasi familiale ? Qui a anticipé l’hyper-productivité des rappeurs contemporains en sortant des tonnes de disques au mètre ? Bref, qui a annoncé le rap d’aujourd’hui, sinon Percy Miller ?
Ce statut de parrain, Master P le confirme à l’occasion de son retour, en collaborant avec la nouvelle génération sur Al Capone, une mixtape sortie en janvier 2013, et où se pressent, entre autres, Meek Mill de Philadelphie, Chief Keef de Chicago, Fat Trel de Washington DC et Alley Boy d’Atlanta. A cette dernière, cependant, il faut préférer une autre, sortie quelques semaines plus tard à peine, et enregistrée en commun avec les deux derniers cités sous le nom de Louie V Mob, avec le renfort occasionnel de quelques grandes figures comme E-40 et Gucci Mane, et de la rappeuse maison de No Limit Forever, Miss Chee.
New World Order, en effet, est une mixtape enthousiaste, énergique, quasiment extatique, portée en permanence par des beats qui cognent, par des synthés triomphants et par des propos outranciers pleins de drogue, de morgue, de sexe et de violence, tous autant festifs que barbares. Et elle est aussi remplie de tubes. Ça commence fort dès un « Dope Case » tous cuivres dehors, et un « Take A Ride » qui se réapproprie le déjà très bon « Homicide » de Future. Et puis après, les chœurs farouches de « I Ain’t Feeling That », l’hymne enlevé « Bang Bang », ce « Tribute to 2Pac » qui recycle le « Hail Mary » du martyr du rap, et cet « Again » agrémenté de chants féminins vaporeux, dépotent tout autant.
Tout n’est pas bon, c’est la loi du genre. Il y a aussi, évidemment, l’insupportable titre R&B de circonstance (« Keep It 100 »), et le saxophone tout aussi sirupeux de « We All We Got ». Mais les titres cités plus haut assurent vraiment, ils donnent raison à un vétéran qui, sur « Trending Boy », affirme être toujours d’actualité. A l’occasion de son retour, et de premiers échos concernant une possible collaboration avec Chief Keef, Master P avait affirmé, en des termes plus fleuris, être le seul rappeur des années 90 à être encore pertinent en 2013. Eh bien, avec ses deux jeunes compagnons, il vient tout juste de le prouver.