Issus de Brooklyn, les deux Underachievers sont présentés comme des affiliés au mouvement « Beast Coast », dont A$AP Rocky et son A$AP Mob sont des proches, et dont le membre le plus éminent est le jeune rappeur Joey BadaSS. C’est néanmoins quelqu’un situé à l’autre extrémité des Etats-Unis, Flying Lotus, qui a récemment pointé les projecteurs vers eux, en les signant sur Brainfeeder. Vu de loin, comme ça, ça ne s’annonce pas forcément très bien. A$AP Rocky, Joey BadaSS, Flying Lotus… Cela fait beaucoup d’artistes notoires, mais qui ont tous en commun d’être passablement surcotés. L’engouement soudain autour des Underachievers, toutefois, n’a rien d’un soufflé : Indigoism, l’une des mixtapes les plus remarquées en ce début 2013, est pour de bon excellente.
Nous ne sommes pourtant pas bien loin du revivalisme studieux et du classic rap fossilisé de la récente mixtape de Joey BadaSS, 1999. Indigoism, en effet, évoque la même année, ou plus largement la seconde moitié des années 90, quand le rap new-yorkais retournait dans l’underground, qu’il valorisait à l’extrême l’élasticité des raps et qu’il flirtait avec des samples et des sonorités iconoclastes. Comme à l’époque, Issa Dash et Ak, les deux MCs, secondés par de nombreux beatmakers (notamment Mr. Bristol et les Entreproducers), privilégient un rap fait tout entier de flows techniques, maîtrisés, parcourus d’habiles rimes internes, avec en sus une pincée de commentaire social (« Root of All Evil »). Et à cela, ils ajoutent un brin d’ésotérisme (« 6th Sense »), comme pouvaient le faire autrefois Scienz of Life ou les Lost Children of Babylon.
Comme chez l’essentiel de leurs contemporains, les drogues ne sont jamais bien loin avec les Underachievers. Mais plutôt que de se livrer à une apologie de la défonce, c’est à l’ancienne qu’ils traitent des stupéfiants sur « Revelations », « Maxing Out », « Herb Shuttles » ou « Potion Number 25 », comme de clés qui ouvrent les portes de la perception. L’influence des narcotiques se ressent aussi dans leur musique, qu’elle se montre atmosphérique (« Herb Shuttles », « T.A.D.E.D. », l’orgue vaporeux de « Revelations »), psychédélique (« New New York »), possédé (« Play Your Part ») ou sombre et abyssale (« So Devilish »).
Chacune de ces formules a eu des précédents. Et pourtant, les Underachievers et leurs producteurs se distinguent, notamment par un sens mélodique rare, manifeste sur les titres « Maxing Out », « 6th Sense », « Gold Soul Theory », sur le très beau « My Prism », et sur ce « The Mahdi » dont le beat n’est pas sans rappeler le « 93 ’till Infinity » des Souls of Mischief. C’est sans doute cela aussi qui les démarque de leurs collègues et protecteurs, et qui permet au duo d’assumer son héritage classic rap new-yorkais, tout en sonnant parfaitement d’actualité.