Si les rappeurs vétérans des années 90 poursuivaient aujourd’hui encore la guéguerre Est / Ouest, nul doute que les Californiens sortiraient gagnants. L’an passé, par exemple, des gens aussi variés que DJ Quik, E-40 et WC nous ont fournis des albums a minima intéressants, alors qu’en face, on nous promet depuis toujours, sans vraiment concrétiser, le comeback tonitruant d’un Nas ou d’un Raekwon. Ce retour triomphal, cependant, une autre vieille gloire du rap new-yorkais a fini par nous l’offrir, avec cet éclatant Trophies.
Des trophées, O.C. n’a jamais cherché à en gagner, nous précise-t-il d’entrée. Figure respectée, auteur avec Word… Life et Jewelz d’albums estimables, l’ancien D.I.T.C. n’a toutefois jamais été une superstar. Son but, donc, n’est pas de courir après une couronne perdue, ni après un buzz qui n’est plus de son âge, mais juste de continuer son chemin. Il suit toujours la même voie, s’engageant dans des chroniques de la vie quotidienne (« The Pursuit ») et des commentaires sociaux (« We the People »), cultivant une science des mots en se lançant dans d’habiles métaphores filées (« Nautica »). Et c’est cela sans doute, cette constance modeste qu’il défend sur « Prove Me Wrong », cette fidélité à soi-même qu’il relate sur le superbe « Fantastic », la raison première de la réussite de cet album, son septième.
La seconde raison, c’est le travail d’Apollo Brown. Le producteur de Detroit, qui commença sa carrière aux côtés de Bronze Nazareth, puis côtoya entre autres deux des rappeurs les plus emblématiques de sa ville, Elzhi et Danny Brown, se surpasse. Il fournit à O.C. un son 90s rénové qui colle parfaitement aux paroles : sa musique est riche en accents soul ; il l’inonde de violons enlevés sur « Nautica », « Anotha One », « The Formula », « Options » et le somptueux « We the People » ; il la gave de samples habiles et classieux, celui du « White Room » de Cream sur « The First 48 », celui du classique « Ante Up » de M.O.P. sur « People’s Champ », ou d’autres issus du « Walk On By » d’Isaac Hayes, pillé et réinventé pour une énième fois sur « Just Walk ». Au final, seuls des détails comme le gimmick électronique du diablement bon « Angels Sing » nous signalent que nous ne sommes plus en 1995.
Cet album, tous les chialeurs habituels qui regrettent le bon temps du classic rap des années 90, des virtuoses du micro et des productions chiadées pleines de beaux samples plutôt que de synthés moches, ceux même qui déplorent l’absence de sens dans le trap rap populiste d’aujourd’hui, qui préfèrent célébrer la weed plutôt que la cocaïne, comme sur « Anotha One », ceux qui considèrent Soulja Boy comme l’incarnation du mal, tous ceux-là aimeront ou aiment déjà cet album. Ces vieilles barbes larguées le célèbreront les yeux embués, la nostalgie satisfaite. Mais pour une fois, elles auront parfaitement raison.