« Sun » épaissit singulièrement le mystère Chan Marshall. Disque précédé d’interviews un peu larguées et passionnantes qui en disent long sur les digressions mentales de leur auteur, il apparaît d’emblée bancal, impur et intrigant. Les deux morceaux offerts en avant-courriers tranchent d’emblée sur le reste de sa production. Catchy et tordus, sublimant un fond de désespoir évident (« Bury Me Marry Me to the Sky », « We’re Sitting on a Ruin »), ils misent avec bonheur sur des propulseurs rythmiques inusités, des dégradés de guitare, et une voix toujours émouvante. Tubes forcément imparfaits, ils donnent ses teintes chamarrées à ce septième opus original (on ne compte pas les disques de reprises), le plus bricolé et marchant en crabe d’une discographie déjà imposante.
Le pas de côté est d’ailleurs le trait le plus significatif de ce disque. Vocalement, Chan Marshall délaisse l’austérité folk, ou la suavité soul pour un phrasé rythmique, qui tente un cross-over étrange entre le R’n’B rappé et le rock indé (les intonations nasales et le swing de « 3, 6, 9 », « Manhattan » ou de « Peace and Love »). Les programmations, samples, traitements de beats auxquels elle s’essaie (expérimentation sans doute en partie guidée par Philippe Zdar, mais il n’est crédité que pour le mix) évoquent parfois de l’electro-pop sous codéine. La raideur rythmique, les back-vocals vaporeux (Chan elle-même) ou graves (Iggy Pop sur « Nothin But Time »), le refus de la mélodie rendent le disque souvent un peu inconfortable, mais cet inconfort relatif a la saveur de l’affranchissement.
Si on retrouve parfois sur ce disque quelques tendances lourdes de l’Américaine (la mélancolie indélébile, le verbe un peu sentencieux), elle s’aventure de toute évidence ailleurs, sans souci d’une halte rassembleuse ou d’une suite de parcours prévisible. Belle oublieuse, Chan Marshall se défait de ses oripeaux de sirène folk ou de soul sista pour offrir le disque, sinon le plus authentique ou émouvant, du moins le plus aventureux de sa carrière. Il n’est pas exclu que dans dix ans, on se souvienne surtout de celui-là comme d’un rêve bizarre et sacrément entêtant.