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Animal Collective – Centipede Hz

Animal Collective - Centipede Hz

Récemment, le site « LA Weekly » – une sorte de Pariscope californien – postait deux listes qui firent beaucoup jaser, l’une sur les vingt pires groupes de hipsters, l’autre sur les vingt pires groupes tout court, du monde et de tous les temps. Si Animal Collective ne figurait curieusement pas dans la liste « branchouille », il plastronnait à la cinquième place des « all-unstars », exécuté – sur la foi de l’affreux « Merriweather Post Pavilion » – en trois phrases qui résonnent encore en nous et tracent d’un doigt de feu la voie à suivre. Evidemment, des cris d’orfraie n’ont pas manqué de dénoncer un crime de lèse-Pitchfork et l’équarrissage scandaleux de pareilles vaches sacrées. Car Animal Collective en est une, bien grosse, et qui divise comme la génisse de Damien Hirst scindée en deux dans son formol. 

Penchons nous sur leur cas avec ce dernier album en date, « Centipede Hz », qui frappe d’abord par la cohérence de son titre : mille-pattes hertzien, pour cette collection de presque compositions s’ébrouant autour de vibrations mineures et majeures. Il est clair que les quatre psyché-teufeurs font – à tort ou à raison – figure de défricheurs parmi leurs contemporains, et qu’ils tiennent ici à conserver ce rang au prix du pire galimatias. « Centipede » est donc épuisant, sans début ni fin, et les variations de rythmes et d’humeurs, pourtant existantes, ne se remarquent quasiment pas, fondues dans cette soupe primordiale où s’agglutinent rythmes frénétiques et samples superposés comme les lits des sept nains reclus dans un cagibi. Il impressionne, agace et rebute à la fois, à l’image d’une discographie partie boute en-train sur de l’hippie-folk à rotor, et atterrie sans crier gare dans une fosse électro-tribale à combustion spontanée.

Ce qui se joue dans l’admiration excessive vouée aux AniCollecteux, c’est bien évidemment le fondamental choix de vie que représente l’abandon des guitares pour l’électronique pur et dur : le Moderne contre l’Ancien, la Technologie versus Joan Baez, les Textures triomphant de l’infâme remugle de cet horrible mot : « chanson ». Panda Bear et sa bande de zozos forment, sur un plan somme toute voisin, un contrepoint hédoniste et fou-fou aux cinq Radiohead componctionnés entre recherche et tradition. Mais la joie qu’Animal Collective est censé dispenser dans ses démences et déviances fonctionne en leurre auto-proclamé. Il suffit d’écouter « Centipede Hz » en boucle, en césures, en fractions pour constater dans tous les cas, qu’il n’agit pas, ne se vit pas, ne procure aucune joie – sinon infimes, à part évidemment, la principale, y mettre fin. Animal Collective est à l’euphorie ce que le « binge drinking » est à la dégustation d’un vieil Armagnac ; un piteux succédané d’aujourd’hui qui a tout oublié parce qu’il n’a jamais rien su. C’est un groupe dont on voit bien la descendance azimutée – Dan Deacon, les Fuck Buttons – mais qui n’a pas d’ascendant discernable, tous étant pilés dans un mixer continu. Et la facilité de la formule s’allie à une pauvreté de résultat qui fait regretter les précédents efforts, au moins jusqu’à « Strawberry Jam ». L’acte de régression tant vanté (cf la franchise Apatow au cinéma) s’incarne idéalement dans ces souriant post-ados qui font vrombir leurs machines pour crier leur enfance éternelle sans Dieu ni Maître, d’où succès exponentiel malgré les simples faits.

Toutes ces généralités – honteux moralistes que nous sommes – ne feront pas oublier que « Centipede Hz » est un disque qui va très vite nulle part, selon la belle formule de la championne cycliste Victoria Pendleton appliqué à son sport sur piste. Dès « Moonjock », une concrétion sonique en pâte à modeler qui semble immobile alors qu’elle dégouline de partout, on a envie de crier grâce. Après un vrai travail sur soi, on arrive à apprécier « Today’s Supernatural » malgré sa laideur criarde et l’attaque labiale du refrain qui évoque irrésistiblement le cunnilingus d’un leprechaun ivre à une goule assommée (l’auditeur ?). « Monkey Riches », l’une des rares choses véloces et supportables, fait penser à un Billy Corgan condamné par un tribunal d’outre-monde à errer sans boussole ni fin dans la discographie d’Of Montreal. Et admettons que les percussions plaquées d' »Applesauce » nous font lever une paupière. Le reste – dont une fin d’album fade et inerte – ne vaut absolument pas qu’on s’y attarde.

On m’objectera que « Centipede Hz » recèle des beautés inusitées et circonvolutoires, quand on l’écoute au casque les nuits de pleine lune, au passage de la ligne, sur un paquebot Costa en première classe ou que sais-je encore. Je n’en doute certes pas, mais les circonstances plénières et quotidiennes condamnent cet album sec, vide et compressé qui brandit le panneau expérimental comme un invalide civil le fait de sa carte à une heure d’affluence pour poser son popotin dans un bus. Le journaliste de « LA Weekly » faisait justement remarquer que les enregistrements d’On-Est-Mal Collective n’étaient gratifiants ni lors d’écoutes soutenues et répétées, ni en simple bruit de fond. C’est qu’ils sont au fond ni chair, ni poisson, et qu’une certaine pourriture, celle de notre heureux temps, s’y agglutine à rendre impropre toute consommation. Si tant est, évidemment, qu’on possède encore quelques papilles.

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