Les disques de Matthew Dear sont toujours un peu étouffants, ils prolifèrent : strates de percussions, de textures. Ils sont aussi fascinants, ils enserrent l’auditeur comme une araignée dans sa toile un pauvre insecte passé par là ; qui digère l’autre, au fond ? « Beams » n’échappe pas à la règle, on y fait trempette, la tête tourne, puis on s’y balance, élément primordial, et plonge doucement : jamais d’accélération ou alors illusoire (la basse cursive d' »Earthforms » qui se fait la course à elle-même). Le groove dearien, l’air placide, est implacable : imaginez un crocodile sortant de l’eau, un sous-marin, une créature quelconque maîtrisant deux éléments. Cet air de jungle au crépuscule qui irradie « Her Fantasy », l’un des plus beaux singles de 2012, n’en cache pas moins une bouleversante chanson d’amour où « un seul coeur sur un million peut ressentir ce que je ressens ». Ce coeur existe, c’est notre auditeur trimballé consentant dans un labyrinthe forain plein de miroirs Bowie, d’enclaves Eno, de chausse-trapes Byrne, pour nommer une bonne fois la triade d’influences présidant à ces ondes. « Fighting Is Futile », proclame un titre. La voix de sinusite caverneuse vient évidemment du Thin White Duke. Si « Station to Station » devait se réincarner aujourd’hui, ne choisirait-il pas au hasard le bridé/débridé « Overtime » avec ses placards de synthés rutilants ? Comme la nuit remue, les morceaux de Dear avancent insensiblement – une progression parfois infime qui se clôt sur un solo pianoté (« Ahead of Myself »), des accords plaqués tire-bouchonnant la queue du magnifique « Get the Rhyme Right ». L’art du détail règne dans ce « Beams » qu’il faut détourer de sa luxuriance. Le funky y cède la place au contemplatif, au serpentin, avant que le tout ne fusionne dans un final brinquebalant à positivité impromptue (« Temptation »). Peut-être le meilleur album de Matthew Dear, son plus tenu en tout cas.
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