Heureux les simples d’esprits car le royaume des Cieux leur appartient, disent complaisamment les Ecritures. Mais le Panthéon du rock parait autrement mieux gardé, et Simple Minds encore aujourd’hui fait figure de groupe honteux qu’on cultive en secret, voire pas du tout. Trop de bons sentiments, trop de voix, trop de stades et de collants-bérets ; c’est à en oublier des débuts non pas également magistraux mais surprenants au bas mot. Rattrapons-nous avec les rééditions récentes en coffret sibyllin (aucun texte) des 5 premiers albums agrémentés de bonus.
Suivons l’ordre et l’évolution.
« Life In A Day » débute un parcours chaotique sur les cendres du glam. C’est un disque anecdotique qui soupire après l’énergie punk sans oser y tomber (la voix de Jim Kerr a pourtant, déjà, un tigre dans le moteur). Le single du même nom distille un petit charme, mais l’ensemble manque de personnalité. Notons toutefois que le nom « Cocteau Twins » a été prélevé par Robin Guthrie et Liz Frazer sur les paroles de « No Cure ».
« Real to Real Cacophony » convainc plus, tout en étant assez épuisant. C’est un chaudron moderniste qui bout à feu doux. Deux morceaux à la suite surnagent aisément : « Premonition » (qu’on eut la surprise d’écouter in extenso au Théâtre de la Colline en bande-son d’une représentation assez désincarnée d’une pièce de Daniel Keene) et « Changeling ».
Même si le groupe est en progrès avec ce deuxième album, rien ne prédisposait vraiment à la réussite totale qu’est « Empires and Dance » – l’un des grands disques méconnus de l’époque, et dernier de leur carrière à être produit par John Leckie. Contemporain de « Closer » et de « Seventeen Seconds », il est à la fois plus cohérent que le premier et plus varié que le second. La pulsation robotique de « Celebrate » tient à la fois de « Trans-Europ-Express » et du funk blanc le plus glacé-minimal (un joli cousin en est « Isolation » de Joy Division). Entre bruit d’essieux et roulement, ce pouls « moderne » parcourt quasiment sans discontinuité des paysages oppressants, comme si les Talking Heads étaient acclimatés par force à des terres enneigées avant d’être jetés au désert. On a trop chaud ou trop froid dans « Empires and Dance », disque européen qui voyage à pied, en train et dans sa tête. On pourrait y voir une réponse à la trilogie berlinoise d’Eno/Bowie plus concise et tout aussi fascinante d’autant qu’elle est expurgée des redites et faiblesses. « This Fear of Gods » – l’un des meilleurs morceaux de Simple Minds – entrelace une guitare en papier de verre sur des motifs orientaux – tambours, flûtes – jusqu’à plonger l’auditeur dans la peau réactive d’un derviche tourneur en pleine crise de paranoïa. L’obsédant « Twist/Run/Repulsion » juxtapose avec de franches coupures un swing sexy-Roxy avec la narration en français éteint d’une fascination amoureuse et perverse (Google, deux décennies plus tard, nous apprendra que les mystérieuses lignes coupées/collées – ah, ce « pitoyable simulacre d’une ancienne polonaise » ! – étaient extraites de « Lolita »). Mouvant comme les sables, l’album se referme sur le faux calme de « Room », cette retraite qui enfle jusqu’à la répétition finale du mot « echoes ». Plus de 30 ans après son enregistrement, « Empires and Dance » s’impose comme le chef-d’oeuvre de Simple Minds et un chef-d’oeuvre tout court.
Probablement envieux d’une audience plus grande, le groupe change de producteur – Steve Hillage – et conçoit un faux-double album pour cause de maison de disques réticente : « Sons and Fascination » et « Sisters Fellings Call ». La paire contient leurs deux premiers tubes (quoiqu’encore non-internationaux) : « Love Song » et « The American » qui tiennent toujours le coup. Le reste sonne un peu plus lourd, l’énergie est devenue positive, le parfum des stades monte lentement. L’instrumental « Theme For Great Cities » en impose toujours dans le genre nocturne et aéroporté.
Le succès enfin touche de son doigt doré l’épaule du fringant Jim Kerr avec « New Gold Dream (81-82-83-84) ». Le son en a toutefois énormément vieilli : tout paraît plat et radio-friendly. Quant aux basses slappées de Derek Forbes, elles sont pratiquement abominables, mais le mytho-mysticisme général touche encore l’adolescent vibrant qui sommeille en nous et qui ne se réveille guère qu’à la réécoute de la chanson-titre et son décompte maintenant antédiluvien. Les morceaux entraînants sont présentés ici en bonus dans des versions « extended » toutes supérieures à celles de l’album, en premier lieu « Someone Somewhere in Summertime ». Tendu vers un avenir grand et friable à la fois, « Big Sleep » magnétise toujours, survolé par ce voyant de foire qu’est Jim Kerr (le finale nous fera encore frissonner longtemps, c’est comme ça). Et « Hunter and the Hunted », cette belle rêverie martiale, n’en finit pas d’évoquer les livres qu’on lisait alors – notamment « Sur les Falaises de Marbre » – et dont on a tout oublié. Un peu passé de mode, « New Gold Dream » ressemble à une épopée où tous les figurants seraient habillés de blanc. Il brille et scintille, mais le décor ménage des pièces ombragées fraîches comme on n’a pas idée.
Tout revu, on comprend parfaitement l’attrait pour Simple Minds qu’éprouvent aujourd’hui de jeunes groupes ou artistes comme the Horrors ou M83. S’ils ont peiné à se réinventer après une période grand public au moins porteuse de deux beaux disques (les suivants dans l’ordre « Sparkle in the Rain » et « Once Upon A Time » – malgré l’opprobre dont on couvre celui-ci), Jim Kerr et ses musiciens ont semé les graines du désordre dans leurs premiers efforts, et principalement dans « Empires and Dance », ce grand disque qui résiste au temps et qu’on invite tous les jeunots (ou moins) à découvrir (ou re).