A l’heure des roses trahisons dans les citadelles de Vauban, il est temps de rallier les plus forts et, nous aussi, de ployer le genou devant « Heaven », le dernier album des Walkmen parfaitement nommé. Avouons que notre vassalitude a longtemps infusé, et pratiquement seul dans la rédaction de POPnews, nous résistions vaillants face à une discographie non pas déplaisante, mais trop âpre et brouillonne à notre goût. Ecouter the Walkmen jusqu’à il y a peu, c’était (pour nous, hein ?) imaginer peu ou prou des Tindersticks ricains et gallon-drunkisés traîner les égouts en complets élimés après avoir troqué leur spleen contre une hargne à mâcher cru tout animal à portée, y compris ce fameux rat du nom de leur single le plus vanté. Nous agaçait même leur son extrêmement distinctif avec cette réverb surpuissante comme une javel nucléaire (adieu les couleurs).
Bon, depuis deux enregistrements au moins, les jeunes fous n’en sont plus, mais le calibrage de « Lisbon » et « You & Me », un peu déficient entre tempos rapides et lents, semble ici enfin résolu par l’adjonction de mid-tempos transitionnels et délicats qui ménagent de vraies plages de décompression (« Love Is Luck », « Song for Leigh »). L’acoustique de « Heaven » est proche du troisième Velvet, soit un disque de canapé qui regarde derrière, se repose et considère l’avant avec des forces renouvelées. Les ballades discrètes ne sont pas anodines et gagnent l’auditeur grâce à une chaleur véritablement charnelle (la virgule doo-wop « Jerry Jr.’s Tune », « Southern Heart » qu’on verrait bien chanté dans un western d’Howard Hawks, sagement expurgé de sa ligne sur la télévision). La production beaucoup plus « classic rock » – qui agace d’ailleurs les fans de la première heure – rend parfaitement grâce à la voix kamikaze de Hamilton Leithauser à l’aise dans tous les registres mais toujours à deux doigts du pur et simple casse-gueule (à l’image du début catastrophiquement faux de « We Can’t Be Beat », seule faute de goût ici). Et les morceaux ouvertement rock sont les plus entraînants et peut-être les plus grandes réussites de The Walkmen à ce jour. « Heartbreaker » est évident comme un R.E.M. millésimé (courtesy of un bien joli vibrato à la guitare). Quant à « Heaven », la perle définitive du disque qui lui donne son titre, on parie que les Strokes tueraient pour l’avoir signé. Un refrain poussé sur quelques mots splendides (« Remember, remember, all we fight for »), une basse sans répit et les vocalises finales d’un Leithauser en font un moment magistral. Ce morceau n’a pas été réellement composé, il a été cueilli comme une fleur de paradis (et de colère, cela va sans dire).
On crie souvent à la perfidie putassière quand un groupe élargit sa base jusqu’à contredire ses débuts (chaos, poussière charbonneuse du rock), mais « Heaven » n’est pas un joli disque de beau-frère, comme on l’écrivait récemment (et méchamment) du « Blunderbuss » de Jack White. Son renoncement est une victoire et signe que le temps se gagne.