Je me souviens que Guillaume Sautereau, l’âme de POPnews, nous avait confié que le dernier Destroyer, « Kaputt », bien que de très haute tenue, ne lui avait pas plus plu que cela. Une trop grande familiarité, une lassitude, une envie d’écouter précisément autre chose à ce moment-là ? J’ai le même sentiment inexprimable à l’écoute de ce « Clear Moon » qui est peut-être le meilleur album de Mount Eerie à ce jour. J’y retrouve tout ce que j’aime : une poésie intime et une attention aiguë à la nature comme dans certaines pages de Tolstoï ou dans les films de Terrence Malick (avant la catastrophe des dinosaures), une production géniale pleine de détails, de création de couches et surtout la perpétuelle envie de changer, d’évoluer, de ne pas rester dans la production de sempiternels disques basés sur les mêmes recettes. On retrouve tout de même la base folk avec la belle voix fragile de Phil, sur « Through The Trees pt.2 », derrière un nuage de claviers gris-rose et des percussions sourdes. Le temps se fait orageux sur « The Place Lives » avec des guitares shoegaze au loin, telles des nuées d’insectes, recouvertes plus tard par des riffs telluriques grondants. « The Place I Live » confirme la tendance, déjà présente dans le 45 tours chez Ateliers Ciseaux, aux claviers à la Badalamenti, qui nous emmènent faire un tour du côté des sycomores de Twin Peaks, même si l’inquiétude et le bizarre sont désamorcés par les chœurs d’Allyson Foster.
Au rayon étrangeté, on distingue plusieurs courts intermèdes, notés avec des parenthèses, entre shoegazing, irisations à base de claviers et d’électronique ou de synthétiseurs vintage, comme autant de respirations et de fugues. Le temps d’une nouvelle échappée avec « Lone Bell », soit une incursion dans le folk-jazz, entre roulements de tambours, jeux de percussions stéréo, nappes de claviers et cuivres, et on entre dans mon morceau préféré, « House Shape » : ça démarre comme un « White Light White Heat » porté par un charley en avant, se transforme petit à petit en du Charlemagne Palestine soutenu à la basse, puis, le temps d’un roulement de tambour et de boîte à rythmes, on passe à du Can sous tranxène, le tout pendant que Phil déclame un poème sur la séparation des mondes extérieur et intérieur et leur étrange interaction. « Over Dark Water » incarne la face sombre de Mount Eerie, basse vrombissante, chœurs habités en forme de chants rituels de Geneviève Castrée (Ô Paon), distorsion, échos puis soudain explosion et solo de batterie dans un déluge noise dans la ligne de « Wind Poems ». « Clear Moon » vient de la même filiation avec des cloches en plus et des claviers en forme de brouillard sur une batterie tout en écho dans une ambiance que ne renierait pas Sunn O))). Mais le soleil ne tarde pas à apparaître avec « Yawning Sky » : les nuées grises s’envolent, le brouillard se dissipe peu à peu laissant apparaître une guitare électrique aigrelette et le » (synthetiser) » final chasse les derniers nuages avec des claviers décidément remis au goût du jour entre le dernier « Bon Iver » ou le récent Egyptology, « The Skies ». Oui tout cela est bel et bon, hautement recommandable mais me laisse froid. Et ça m’agace de ne pas être plus enthousiaste que ça pour ce bel album… Tant pis pour moi, j’irai me balader dans ce Mount Eerie une prochaine fois.