Déjà le troisième album pour Kristian Matsson. L’homme qui, à défaut d’être à proprement parler le plus grand du monde, confirme tranquillement son statut d’homme le plus grand du petit monde de la musique folk. Alors qu’il devient de plus en plus ardu de séparer le bon grain de l’ivraie parmi le flot incessant de nouveaux baladins à dominante acoustique apparus ici ou là depuis une bonne décennie, le Suédois parvient plus que jamais à tirer son épingle du jeu. Sa réussite est d’autant plus criante qu’elle ne s’appuie sur aucun artifice, aucun stratagème, aucun tour de passe-passe signé par un quelconque sorcier des studios d’enregistrement. C’est par la seule force d’une écriture nettement supérieure à la moyenne actuelle que Matsson se distingue de ses très nombreux concurrents. Sur « There’s No Leaving Now » encore un peu plus qu’auparavant, on se trouve médusé par la profondeur et l’intensité d’une musique pourtant faite de très peu. On ne voit à vrai dire que le Elvis Perkins déchirant de « Ash Wednesday » (2007) pour être capable de fréquenter une telle altitude émotionnelle, armé pourtant lui aussi le plus souvent d’une simple guitare en bois. Ce qui frappe chez les deux hommes, c’est ce sentiment commun d’authenticité et cette sincérité indubitable qui les éloignent instantanément du chiqué et de la pose de ceux qui se permettent de trahir le folk en le condamnant à devenir une musique aseptisée, tout juste bonne à servir de bande-son prétexte à refourguer des yaourts ou des téléphones portables.
Alors évidemment, on ne pourra pas encore couper ici aux inévitables références dylaniennes, le timbre de voix joliment éraillé et nasillard de Matsson renvoyant toujours à l’ombre écrasante de l’auteur de « Blowin in The Wind ». On aurait pourtant tort de réduire The Tallest Man On Earth à la caricature facile du moine copiste obnubilé par son imposant modèle américain. « To Just Grow Away » en ouverture saisissante et un peu plus orchestrée que d’ordinaire, « Bright Lanterns » et ses fines touches de pedal-steel, l’enlevée « Wind And Walls » ou la déjà classique « 1904 » se suffisent à elle-mêmes et impriment d’emblée la marque unique du songwriter scandinave. Et même lorsque notre homme surprend et déroute en s’installant au piano sur le morceau-titre, on oublie peu à peu toute résistance pour finir par succomber entièrement à cet exercice un peu osé et somme toute assez convaincant de romantisme exacerbé.
Pour les thuriféraires de The Tallest Man On Earth comme pour ceux – probablement nombreux – qui découvriront aujourd’hui sa musique via cet album miraculeux, « There’s No Leaving Now » pourrait s’apparenter à un nouveau phare : ces chansons boisées et atemporelles brillent d’une lumière rassurante et singulière dans le paysage musical d’une époque décidément incertaine.