Mine de rien, j’ai tous les albums de Don Niño dans notre discothèque. Et en version physique, comme on dit maintenant. Du premier album « Real Seasons Make Reasons » acquis à cause d’une Herman Dünite aiguë qui me poussait à écouter tous les satellites du groupe, en passant par le comeladien « On the Bright Scale« , l’exercice de relecture « Mentors menteurs ! » et, bien sûr, tous les NLF3 dont je ne peux que recommander l’écoute et l’achat. Et ce nouvel album me direz-vous ? Eh bien, c’est le meilleur Don Niño à ce jour et je me désespère (pour une fois) d’habiter en Suède et donc de ne pas entendre sur scène les nouveaux titres de « In The Backyard Of Your Mind ».
On compare bien souvent Don Niño à Jim O’Rourke, Bed, Nick Drake mais il est plus que tout ça. Il est à la fois la somme de ses précieux aînés (les pré-cités et ceux qu’il a repris sur « Mentors menteurs ») mais aussi de mondes musicaux (râgas indiens, krautrock, influences sud américaines, indie, folk anglais….). On retrouve la trame Don Niño dès « Everything Collapsed All Right » : quelques accords répétitifs de guitare, les rythmes recherchés du compagnon batteur Mitch Pirès (LE batteur français), des échappées de claviers célestes, des trouées de chœurs, une voix fragile. La formule magique tient à peu de choses : une profusion de savants éléments mêlés les uns aux autres, certains tout simples et répétitifs, d’autres mouvants et variés dans une architecture solide et cohérente, loin des compositions anarchiques des fourmillants Deerhoof. Le temps d’un « On the Line » au ralenti entre coups de percus et lacérations de claviers et on atteint déjà le premier tube du disque, « She’s Resisting », dont certains sons m’évoquent le Sparklehorse de « It’s a Wonderful Life« . Batterie chaloupée et brute, coussins sonores de claviers, stridences et parasitages, sifflements addictifs : un tube à chanter sous la douche malgré son caractère mélancolique ? Au rayon saudade et titres favoris, on trouve « Beats », une sorte de « Blackbird » indé tout en batterie à contretemps, et passages de claviers comme autant de fantômes puisqu’il est question d’existence, d’appels… L’écriture musicale de Don Niño est cinématographique et doit autant au cinéma qu’à la musique du monde. D’ailleurs, on croit même entendre l’évocation du nom de Tarkovski mais ce n’est, peut-être, qu’une illusion sonore due au fait d’avoir revu, sur grand écran, « Le Miroir », hier.
Le début de « Myself by Heart » évoque le cousin d’Amérique Ben Chasny de Six Organs Of Admittance mais enrichi de mille luxuriances dont des trompettes (Lori Sean Berg de Berg Sans Nipple ?). « Free Birds » joue sur le même tableau folk répétitif mais vire en batucada malade, à la manière du projet parallèle NLF3 ou de Berg Sans Nipple.
« Cuckoo » démarre sur une note psychédélique avec des guitares comme des cithares et se ramasse en rock indé : on y trouve des idées creusées par le premier album de Centenaire mais portées ailleurs, par des claviers une fois de plus trafiqués, et par un solo de guitare électrique inattendu.
« Fabulous » et ses claviers sombres et rugueux nous donne envie de reprendre des nouvelles de The Married Monk qu’on a quitté avec une crise d’Elephantisme. L’atmosphère est ténébreuse, vénéneuse : la batterie sèche contraste avec les claviers qui grignotent les oreilles peu à peu.
On aborde l’autre sommet du disque, « Souls in the Parlor », porté par une belle basse ronde, sortie tout droit de NLF3, quelques chuchotements, un rythme lancinant puis le refrain « Souls in the parlor » répété à l’envi, montant en puissance avec l’aide d’une guitare shoegaze et d’une jolie pedal steel sur la fin. Tout l’art de Don Niño est là : la terre du rythme, l’esprit des voix, la joie d’être triste. Il est bon de se réchauffer au soleil noir de la mélancolie.
On se dispute à la maison pour savoir quel est le meilleur titre de l’album. Pour Johanna, c’est sûr, il s’agit de « Mellow to Blossom », ce genre de chanson mélancolique dont on adore qu’elle nous rende tristes. Un clavier désespérant (souvenir des orgues de Nico ? De Bach ?), un calimba (à moins que ce ne soit un woodblock ?) très en avant, comme une pulsation ou une goutte d’eau régulière tel un supplice vietnamien, une voix fantomatique, fragile comme jamais, au bord de la rupture pour une chanson fleuve comme Songs:Ohia en avait parsemé son « Ghost Tropic ». Puis soudain une cassure dans le rythme : comme une tentative, forcément vouée à l’échec, de se reprendre, de rehausser le tempo, comme si un groupe de hard rock alcoolisé essayait de terminer la chanson par une note gaie sans y parvenir tout à fait.
Enfin, « I Know the Snake », belle comme une chanson d’André Herman Düne période Prohibited Records, enluminée de rehauts de claviers, de batterie en contretemps, de chœurs.
Notons qu’en plus des invités habituels de luxe, dont on n’aura de cesse de vanter les mérites (Mich Pirès, Lori Chun Berg et bien sûr le frangin F.Lor, certainement à la production, élégante, comme à l’accoutumée), on retrouve la participation, en joker magique à la Dominique Petigand, de Luke Sutherland (Long Finn Killie, Mogwai…) qui aurait rajouté des strates de chœurs et de violons.
Que dire de plus si ce n’est qu’en ces temps de marasme politique et musical, cet album de Don Niño nous réjouit comme jamais et nous redonnerait presque espoir dans les productions indé, terres de plus en plus désolées et désolantes. Don Niño est fécond et c’est tout ce dont on a besoin en ce printemps qu’on aimerait ensoleillé. Un des grands albums de l’année, c’est sûr.