Physiquement et vocalement diminué, Jason Pierce porte à coup sûr les marques profondes d’une dernière décennie particulièrement troublée, durant laquelle il aura dû partager son temps entre l’hôpital, la scène et le studio. Il est presque surprenant de constater que le Britannique soit parvenu à survivre à tant d’excès en tous genres, ainsi qu’aux complications médicales qui en auront irréparablement découlé. Découvrir un nouvel album de Spiritualized aujourd’hui équivaut donc en quelque sorte à rencontrer un miraculé. Mais alors que l’inégal « Songs In A&E« , sorti quatre ans en arrière, avait peiné à convaincre durablement au delà du plaisir évident des retrouvailles, « Sweet Heart, Sweet Light » se révèle vite être un très grand cru et un nouveau sommet dans la parcours accidenté du créateur de l’inaltérable « Ladies & Gentlemen We Are Floating In Space ».
Premier coup de tonnerre ouvrant idéalement les hostilités, « Hey Jane » trempe l’électricité rouillée des Stooges dans le grand bain groovy des Stones de « Beggars Banquet ». Puis vient une deuxième partie du morceau, littéralement transportée par ses choeurs gospels lumineux, qui transpire un optimisme bienvenu. Un très grand moment de rock’n’roll qui démontre, neuf minutes durant, que l’ex-Spacemen 3 n’a rien perdu de sa verve et donne au passage une belle leçon aux héros fatigués de l’ère brit pop. Bien loin en effet du côté pathétique des tenants du revival 90’s, Pierce se plaît une nouvelle fois à n’en faire qu’à sa tête, traçant obstinément le sillon d’une musique unique, nourrie d’une cartographie d’influences et d’obsessions toutes personnelles (13th Floor Elevators, Phil Spector, le krautrock…). La bonne nouvelle de ce septième album vient du fait que notre homme a su cette fois trouver le dosage parfait, notamment au niveau des arrangements de cordes, luxueux mais jamais clinquants, refusant miraculeusement toute tentation larmoyante. Formidable exemple de cette maîtrise d’un équilibre orchestral pourtant précaire, le magique « Too Late » plane très au-dessus de la mêlée pop actuelle, servi par un texte bouleversant, peut être ce que l’Anglais a écrit de plus beau depuis le début de sa carrière. Le genre de titre qui, à l’image d’un superbe « Little Girl » aux élans soul délicatement suggérés, devrait enfin persuader le désormais insignifiant Richard Ashcroft de raccrocher pour de bon. Ailleurs, de dérapages contrôlés dans la jungle acide d’un rock psychédélique drogué jusqu’à l’os (« Heading For The Top Now », « I am what I am ») en confessions sublimées par une foi et une sagesse nouvellement acquises (le rédempteur « Freedom », « Life Is A Problem »), Pierce donne une preuve éclatante d’une vitalité artistique entièrement retrouvée. Un regain de sève printanière qui irrigue « So Long You Pretty Thing », émouvante touche finale apportée à un disque que le temps consacrera sans doute comme l’un des classiques de son auteur, et qui devrait accessoirement rester comme l’un des albums majeurs de l’année 2012.