Loading...
Disques

My Bloody Valentine – Rééditions : Isn’t Anything, Loveless, EPs 1988-1991

Il y a deux ans et des poussières, Pas de Printemps pour Marnie, minuscule groupe français, livrait à la sauce New Wave – soit électro-folkasse – un album de reprises de My Bloody Valentine dans l’idée – on l’imagine – d’en faire reluire la brillance pop enfouie sous les couches originelles de guitares. Le résultat, anodin jusqu’à l’insignifiance, forçait à s’interroger sur un groupe aux abonnés absents à peu près depuis notre puberté, et principalement révéré sur la foi d’un disque : « Loveless », en son temps, rendit fous toute la planète rock-indé et des labels par brassées (dont le sien, Creation, presque acculé à la faillite).

Si le groupe est référentiel – en partie à cause de sa mauvaise tête et de son perfectionnisme (le troisième album est « prêt à 70 % » après vingt ans d’efforts, dont deux tiers de mise entre parenthèses), force est de constater qu’il n’a laissé aucun morceau-phare dans l’inconscient collectif – ce qui n’est pas pop du tout. Et sa récente réformation scénique n’a guère amusé que les oto-rhino-laryngologistes, et évidemment les amateurs d’ultime à petit prix. Alors voilà, et si My Bloody Valentine, ce n’était que ça : du passé terni porté en sautoir ? On se serait trompé avec les autres, on serait bêtes, nous aussi ? Angoisse, ongles rongés, frissons dans les draps humides (mais heureusement pas souillés…)

La réponse vient enfin aujourd’hui grâce aux rééditions chez Sony Legacy des deux uniques albums et d’une compilation des 4 derniers EP du groupe, agrémentée de raretés et d’inédits, le tout évidemment chapeauté par le Maître, Kevin Shields. Les objets classieux et sybillins renvoient aux originaux – le temps ne coule pas ici. Aucune note de pochette, ni de falbalas, on s’en doutait un peu : le corpus de l’oeuvre majeure en soi (la première incarnation de My Bloody Valentine avec un autre chanteur, Dave Conway, attendant son heure certainement dans des limbes extensibles).

My Bloody Valentine - Loveless

Commençons par le terminal « Loveless », ici décliné en deux mix dont un superfétatoire (les différences sont infimes) pour de spécieuses raisons techniques dont Shields s’est récemment expliqué dans une interview à Pitchfork. On avoue que de notre côté (le lecteur habitué a évidemment translaté le pluriel en singulier), « Loveless » n’a jamais été un quelconque pinacle mais un disque indécidable dont l’unité sonique nous semble obtenue au détriment de ses éléments constitutifs. Les morceaux (chansons ?  dé-compositions ?) y sont réduits en ondes papillonnantes dans un sorte de brouillard lointainement pop. Quelques concrétions s’impriment un peu plus fortement (« When You Sleep », « Come In Alone ») – mais l’impression générale est celle d’un strabisme auditif : Shields joue les voix contre les guitares, les guitares contre le son, à nous de faire le point dans ce b(r)ouillon global. « Loveless » est, bizarrement, un album inférieur à la somme de ces composants : « Soon », notamment, se goûte mieux extrait du disque qu’en final feu d’artifices (remarquons l’ironie du titre : le virage dance-rock qu’il semblait amorcer aura été remis à l’Antéchrist). Prévu pour la continuité, « Loveless » n’atteint une certaine force que dans la fragmentation (citons aussi le délicieux « Blown a Wish »). Emotionnellement, l’album est privatif comme son titre et, avant toute chose, sourd-muet : c’est le petit-fils de « Colossal Youth » qui crie comme Cerbère et ne s’entend pas. Mais le mystérieux quant-à-soi des Young Marble Giants est remplacé par une sorte d’abrutissement, de refus de la sensation. Dans le fond, « Loveless » est bien cet album ultime vanté partout mais l’accomplissement qu’il paraît atteindre n’est au fond qu’une dissolution avancée qui corrode chaque note, chaque son, à l’exception de la première frappe de Colm O Ciosoig sur « Only Shallow ». Le ver ronge profondément le fruit. Dans son entre-deux (« n’est rien » ou « n’est pas rien » ?), la dernière trace discographique de My Bloody Valentine n’en finit pas de se diluer dans la rosoyance guitarée de sa sublime pochette (l’une des plus belles de l’histoire du rock, quand même…).

My Bloody Valentine - Isn't Anything

Précédent effort de Shields & Co, « Isn’t Anything » a été le plus souvent traité comme une ébauche maladroite de l’oeuvre Kapitale à venir. L’art de la synthèse n’est pas son fort – ce qui le rend passionnant. Scindé entre plages engourdies et rages épiques, il est principalement rude, parfois graisseux (« Cupid Come ») et son désespoir lunaire se colore d’une floraison de choeurs aériens (« All I Need », magique). Il contient surtout, avec « Dreams Burn Down » et « Chelsea Girl » de Ride, l’un des trois chefs-d’oeuvre indépassables du shoegazing : « Feed Me With Your Kiss », ce duo d’amour qui refait « Psychocandy » à la scie sauteuse. Très vite (« Sueisfine »), très fort (« Nothing Much To Lose »), très malade (« I Can See It.. »), « Isn’t  Anything » va plus loin que le bipolaire. Il ressent trop, c’est un disque vivant, hirsute : les guitares y sonnent comme des guitares, la basse se distingue encore, et la batterie abat les résistances, toutes choses insupportables qui seront combattues sur son successeur qu’on sent déjà germer dans le terrible « Lose My Breath », avec son air acoustique et ténu qui ne suffit pas à suffoquer. Ajoutons que le liminaire « Soft As Snow » presque hip-hop sous les déluges de fuzz, est une réconfortante touche d’humour chez un groupe dont l’encéphalogramme a souvent pu passer pour plat.

My Bloody Valentine - Ep's 1988 - 1991

Avant la résignation au silence, il y aura eu aussi ces EP – quatre en trois ans – qui forment le troisième volet de cette réédition. On entend remarquablement l’évolution de My Bloody Valentine, et notamment l’abandon, peu ou prou, du format chanson pour la recherche sonique sur les textures et les vapeurs. Les faces B, particulièrement, sont passionnantes : « Slow », sensuel comme le meilleur d’Ultra Vivid Scene, ou « I Need No Trust » qui dylanise envapé sur fond d’arpèges bredouillants. Des morceaux rares, nous retiendrons le surprenant « Instrumental n°2 » qui plaque des guitares corne-de-brume sur un sample de Public Enemy, également dévoyé par Madonna (« Justify My Love ») et de l’autre côté du prisme, son plus que faux-jumeau, « Instrumental n°1 », furibard comme du Hüsker Dü. Trois inédits, d’assez bonne facture mais sans génie, complètent idéalement ce panorama discographique.

Alors voilà, tout est dit : My Bloody Valentine est remasterisé pour la jeunesse et la postérité. Ce groupe-méduse – qui ravit de loin et pique de près – aura généré la moindre fille à peu de poumons lalalant sur des matelas de guitares à rasoir (on ne nommera personne). Happé par un vide qu’il appelait de ses voeux, il se sera perdu entre curseurs et amplis. Avant de renaître aujourd’hui, aussi malcommode et fascinant. Nihilistes faramineux, My Bloody Valentine dure longtemps mais ne se projette pas, et ces rééditions refermeront pour toujours le mythe, car le prochain MBV n’existe pas et quoi qu’il advienne, ce ne sera rien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *