Le mouvement invariable de Gravenhurst vers un univers de plus en plus rock aura finalement mené le projet de l’Anglais Nick Talbot jusqu’aux hauteurs insoupçonnées d’un disque qui aura profondément marqué son époque. Ou comment un disciple de Nick Drake un peu plus doué que la moyenne aura fini par tutoyer les cieux électriques de Slint ou Sonic Youth, sans jamais perdre de vue les racines folk de son écriture. Mais si ce « Western Lands » (2007) en forme d’aboutissement a fait entrer durablement Gravenhurst dans le cercle fermé des groupes essentiels de la scène indé contemporaine, on imagine qu’il ne fut pas aisé pour son créateur d’imaginer une suite digne de ce nom.
Lancé en éclaireur de ce cinquième album attendu avec fébrilité, le single « The Prize » (et ses arrangements de cordes enchanteurs) semblait confirmer l’ouverture de Gravenhurst à des constructions plus alambiquées, tout en évoquant en arrière plan la possibilité d’une option plus feutrée. Le reste de « The Ghost In Daylight » confirme cette inclination : on ne sera pas surpris d’apprendre que Talbot a composé ce disque sous l’influence du grand Richard Thompson. C’est bien en effet dans l’ombre de cette légende du folk britannique que le disque égraine des compositions à la mélancolie insidieuse (« Circadian », « In Miniature », « Peacock ») sur lesquelles le jeu de guitare délicat de Talbot fait à nouveau merveille. Dans le même esprit, « The Ghost Of Saint Paul », temps fort de l’album servi par un chant à la fragilité éloquente, nous émeut comme peu de chansons ont su le faire depuis très longtemps. En contrepoids, quelques titres plus abstraits, à la limite de l’ambient, déroutent un temps avant de convaincre pleinement (« Islands », comme une version cotonneuse de My Bloody Valentine, ou la complainte bourdonnante « Fitzrovia »). Car l’autre source d’inspiration actuelle de Nick Talbot est visiblement à chercher du côté des paysages sonores dessinés par Brian Eno. Au contact de cette matière sonore inédite, le folk boisé de Gravenhurst s’autorise ainsi par endroits une vision panoramique bienvenue et augure de développements futurs potentiellement passionnants.
On finira donc par applaudir sans détour le parti-pris minimaliste et intimiste de ce « Ghost In Daylight » qui dissimule, derrière sa beauté un peu pâle, une profondeur de champ inouïe. Au delà d’une certaine austérité de façade, cette nudité assumée offre en définitive un écrin idéal aux nouvelles chansons du Bristolien. Des chansons qui ne nous accompagnent que depuis quelques semaines, mais dont on sait d’ores et déjà qu’elles n’en finiront jamais de nous hanter.