Qu’y a-t-il encore à présenter dans le paysage du rap français en ce début de XXIème siècle, entre le malaise social et les voitures brûlées ? Un premier projet à deux des membres de 5 Majeurs, Keroué et Vidji, plus intimiste. Isolé dans leur studio, nos deux compères s’essayent aux variations d’une discipline nationale qui a usé depuis longtemps toutes ses cartouches. Ni nostalgique, ni rétro pour un sou, Fixpen Sill parvient à briser la monotonie du rap français et lui insuffler un peu d’authenticité. Quoi de plus surprenant, me direz-vous.
On retrouve certes les composantes des structures du rap, avec sa boucle instrumentale simple au rendu varié (très beau rendu jazzy pour le morceau “Train de vie”), une rythmique binaire mais un flot de paroles jusqu’à 15 syllabes par mesure (parfois plus au milieu d’une “Affaire Durable”) mais qui donne une crédibilité à un propos orienté. L’intelligence de Fixpen Sill, c’est justement de privilégier ses mots, son discours à un jeu de rimes et un refrain séduisants. Ce dernier est la plupart du temps mis à mal, afin de toujours donner plus de valeur au texte (“le truc qui tue” qui ne trouve aucune rime réponse dans “Le Programme”, “le saut de l’ange dans un dé à coudre” de “Nouvelle Ère”) et révéler une vulnérabilité qui généralement ne trouve pas sa place dans le rap. La démarche aurait pu se contenter d’être simplement sincère, mais là où Fixpen Sill se démarque encore une fois, c’est dans cette ironie permanente de paroles qui échappent aux archétypes sociaux, frôlent même la parodie (le “Willy désossé sur une plage paradisiaque” est-il bien le pauvre orque qui a connu la gloire dans les années 90 ?), comme pour ne jamais être trop sérieux, ni trop ridicule. Ce jeu de balles permanent, Fixpen Sill parvient à en maintenir la force sur l’ensemble du disque. Les thèmes sont connus mais la musique parvient à leur donner une consistance, une image : la morosité urbaine, l’absentéisme scolaire ou encore le mutisme social trouvent ici une résonance particulière, grâce à un discours plutôt apolitique. Les morceaux s’enchaînent, la recette fonctionne plutôt correctement, et on finit par y prendre goût. On réalise que c’est peut-être ça qui manque au rap français aujourd’hui : un social crédible et un profond sens de l’humour. Ah oui, tout était dans le titre.
À l’opposé de l’arrogance et de la provoc’ d’un NTM, Fixpen Sill fait le choix du pragmatisme, où le tenir bon est un état d’esprit. Moins incisif que leur projet parallèle 5 Majeurs (auquel participe également Nekfeu – l’un des membres 1995 -, qui fait d’ailleurs une apparition sur “Garde à Vous”), le duo joue la carte du rap zen, à la manière du « Ghost Dog » de Jarmusch. Si tout n’est pas parfait, le contrepied est du plus bel effet. Le sens de la formule se retrouve moins dans ces textes qui bataillent sans cesse avec le quotidien que dans l’image complètement assumée (mais maîtrisée) d’un genre aux codes bien établis. Une affaire durable qu’il convient de suivre.
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