Claire Boucher est une jeune sorcière canadienne – elle a des « Visions ». La plus belle et récente – « Vanessa » – est une incroyable mise en images (par ses soins, respect…) de sa plus belle chanson transformée en symphonie kaléidoscopique d’attributs féminins (cheveux, chair, maquillage, vêtements), un exorcisme doux comme un rêve où des femmes de quelques âges invoquent sous sa conduite une déesse d’amour. On poétise parce que ce clip est tout simplement le plus beau de 2011, et le morceau l’un des plus touchants de cette même année. C’est donc très remonté que l’on aborde « Visions », troisième album au compteur d’une artiste solitaire et prolifique à qui l’on promet beaucoup et qui nous promet pareillement en retour. Plus accessible que « Geidi Primes » et « Halfaxa », « Visions » est néanmoins clivé entre une première face admirable où tout se conclut et une seconde plus interrogative où tout se délite. Flux et reflux, lune qui croît et décroît, « Wax And Wane » comme diraient les Cocteau Twins, auxquels on pense forcément pour quelques envolées vocales (« Be a Body », « Symphonia IX »). Paradoxalement, ce cousinage fameux ne sied pas spécialement à Grimes, bien plus percutante quand elle évolue sur les traces d’un certain R’n’B mutant (« Genesis », « Oblivion »). Tout lui semble possible, vocalement sinon musicalement (le cadre est strictement synthétique, à l’exception de la guitare sur fond d’eau de source de « Know the Way »). Et la première moitié du disque nous convainc plus que la seconde car le séquençage assemble les émotions en montagnes russes. Le paranoïaque « Circumambient » cède la place à un « Vowels = Space and Time » aussi fleur de peau qu’il est remuant – et les voix entrecroisées de Boucher y font merveille entre pudeur et abandon. Au fond, on n’a rien écouté depuis longtemps d’aussi magique et féminin. Et on comprend tout à fait que Grimes ne veuille point se limiter à une certaine délicatesse de toucher battue en brèche par « Infinite Love » ou « Eight » aux stridences björkesques qui font sonner l’anglais comme une langue asiatique. Pour un disque électronique à la première personne, « Visions » est étonnamment tactile et changeant comme le ciel ou les heures. Quelque chose d’élémental qui la rapproche de Julianna Barwick, autre fée plus céleste, voire spectrale. Même si on devine que Grimes est à l’aube d’une riche carrière, ces « Visions » valent le coup d’oeil.
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