Depuis « Teaser for : Matter » en 2005, impossible de ne pas se passionner pour chaque album sorti par le Stéphanois anglophile Mickaël Mottet sous le nom d’Angil & the Hiddentracks. Et c’est peu dire que « Now » ne fait pas exception à la règle.
Bien plus qu’un excellent album, « Now » est un réel manifeste pour tous les mélomanes qui ne peuvent se restreindre à une chapelle musicale particulière. Puisant autant dans le free-jazz que dans la noisy-pop, la dernière livraison d’Angil et de ses Hiddentracks en très très grande forme est le disque idéal pour ceux qui se sont toujours refusés à choisir entre le « Blues and Roots » de Mingus et le « Slanted and Enchanted » de Pavement.
Trop souvent, la rencontre du jazz et du rock mène à ce qu’il y a de pire : le jazz-rock, le jazz-fusion, ce genre de musique sans âme jouée (et écoutée) par des premiers prix de conservatoire au bon goût douteux. A cent mille lieues de cette musique minutieusement et froidement calculée, Mottet et sa bande tirent le meilleur de chacun des deux genres musicaux : le souffle épique et libertaire du free-jazz (« Now », agrémenté d’un point d’exclamation « impulsien », aurait d’ailleurs fait un excellent titre d’album de jazz libre au début des années 60), la justesse approximative et poétique du rock indé (Mottet joue et tapote sur sa Jazzmaster). Deux manières de penser la musique a priori opposées qui se retrouvent si bien mariées ici.
On l’aura compris, « Now » est une oeuvre légèrement schizophrène, à la fois ouvertement cérébrale et furieusement sensorielle (une définition du free-jazz originel ?) et pas que dans sa capacité à lier deux genres musicaux a priori inconciliables. Mottet a ses obsessions, qui nourrissent « Now », oeuvre qui nous parle autant de musique que de guerre, deux thèmes majeurs transparaissant dans les paroles des dix chansons de l’album : omniprésence des champs lexicaux de la musique, de l’écriture (« I dreamed of a song », première phrase du disque) et de la guerre, de la violence (« This time it’s the war of the century / This one, this time / In a century of wars », en refrain-clé du disque), utilisés le plus souvent conjointement (les prénoms ultra-référencés « Elvis » et « Otis » confrontés au terme « colonisation » dans le lapidaire « Know-Hows » ; le titre-même de la chanson « Swan Song of a Refugee »).
Mottet parle de musique, de guerre, mais bien souvent à la première personne. On croit comprendre que c’est à un véritable combat intérieur qu’il se livre, une guerre qui ne trouvera d’issue que dans la réalisation de sa musique. On imagine les lignes ennemies avancer en écoutant les cuivres déchaînés de « Know-Hows », la contrebasse quasi-rockabilly de « Swan Song of a Refugee » ou le groove lancinant de « To Progress ». Des espoirs de paix surgissent bien ici et là, au moins musicalement – beauté mélodique obsédante de « When He Says Your Name », arrangements orchestraux lumineux de « This Time » et « I Have Stopped Wondering », perfection pop baroque de « Do » – trouvant leur accomplissement dans un « Trish » sublime de dépouillement (duo contrebasse-voix) et de mise à nu. Une chanson aussi douce en apparence que terrible en substance, à l’image du disque : magnifique mais jamais innocent. Radical et génial.