Vilipendée partout, accusée d’album patapouf, de plagier, de chanter comme une casserole, moquée au Saturday Night Live par l’amusante Kristen Wiig, la pauvre Lana Del Rey, après avoir enflammé l’automne, passe un sale hiver. L’été indien n’était-il qu’un rêve et notre Lana qu’un ersatz puritain d’Alison Goldfrapp US sans string disco apparent (Ah, cette pochette façon « American Gothic » !) ? Réservons notre jugement…
D’abord, le bâton : « Born To Die » est plus proche du gros que du grand disque avec cette avalanche de mid-tempos tous quasi-similaires. On pourrait sans dommage l’amputer du tiers le plus ampoulé (ce qui poserait un problème de taille : lequel ?). Il accumule ce qu’en langage cinématographique on appelle les « productions values », soit les marques d’une opulence sans limite : violons en pagaille, tapis d’éveil en fond, samples, feux d’artifices. Un grand spectacle qui se fait au détriment des chansons le plus souvent noyées ou tellement pomponnées qu’elles en perdent leurs reliefs (la splendide « Blue Jeans », franchement délavée).
Malgré ces défauts, on n’arrive pas à détester tout à fait le premier album officiel de Lana Del Rey. Parce qu’il est raide, guindé, sacrificiel – Lizzy Grant, starlette lynchée sous influence lynchienne, veut tout tout de suite, et si elle se prend les pieds dans un glamour noir comme le goudron, c’est que ses talons sont trop hauts. Créature de synthèse, on dirait une figurante de « Mulholland Drive » qui aurait potassé Guy Debord en vitesse. Ce pourrait être infect, c’est assez touchant. Prenons Lynch présent ici par un certain apparat langoureux à base de grosses basses pelviennes : Lana Del Rey en fait un pur signe de fifties fantasmées, un artifice parmi tant d’autres, quelque chose d’un peu grossier et ronronnant, au fond l’essence même de David Lynch, ce Dieu alternatif vénéré sans recul, incarnation faillie de l’indépendance, devenu franchise à tout crin qui décore boîtes branchées et Galeries Lafayette après avoir signé « Inland Empire » l’un des films les plus effarants de la décennie passée. Soit un vrai talent viré au putanat le plus vil. A bonne école, « Born To Die » est donc ce toc profond qui nous anime et nous fait rêver, du porno sentimental en amorce avec blonde et brun fatal enlacés sur fond de drapeau américain. Plus clairement, Lana Del Rey est l’époque et son horreur : la rejeter, c’est se voir dans le miroir et s’y reconnaître.
Avouons que derrière le plâtras de gloss se nichent malgré tout quelques chansons, en premier lieu desquelles « Video Games » que six mois d’usage répété n’ont pas érodé. Et deux autres réussites : « National Anthem » qui piège Minnie Mouse sur « Bittersweet Symphony » et l’émouvante « Summertime Sadness » avec son attaque bégayée des « s » sur le refrain. Le reste peut briller comme une Rolls Royce rose, ces quinze minutes valent un petit quelque chose. De même que l’intelligence acérée et suicidaire de cette Lizzy Grant pas encore passée de l’autre côté du miroir comme le fit Lana Turner, médiocre actrice sublimée sur le tard dans l’admirable et définitif « Imitation Of Life ». Ce prénom d’icône vide n’aura évidemment pas été choisi pour rien – en espérant que son Douglas Sirk ne tarde pas trop…