Les gens d’Odd Future ne sont peut-être pas les messies du nouveau rap, mais la hype qui les a portés nous a appris au moins une chose : qu’on avait besoin aujourd’hui d’un hip-hop qui associe, à nouveau, les outrances du rap démago grand public et l’audace stylistique des activistes de l’underground. Si le collectif californien n’arrive finalement pas à combler ce vide, d’autres, déjà ont commencé à s’en charger. Et Danny Brown, au vu de l’accueil réservé à « XXX », pourrait bien être le meilleur de ceux-là.
Trentenaire, ce rappeur de Detroit a déjà le passif d’un cador du rap. En plus du nécessaire CV d’ancien dealer de drogue, il a déjà été approché par Roc-a-Fella et la G-Unit, excusez du peu. Mais ça ne l’a pas fait, pour des raisons faciles à deviner. Il suffit en effet de regarder ce rappeur malingre orné d’une mèche invraisemblable, et à qui il manque les dents de devant, pour constater qu’il n’a pas vraiment le look de 50 Cent.
Danny Brown s’est donc replié sur un autre terrain. Il a donné quelques temps dans le rap social, avec « The Hybrid », avant de sortir chez Fool’s Good ce fameux « XXX », intitulé ainsi à cause de son âge et de son registre explicite. Et sur cette sortie jubilatoire et psychédélique, sur cette vraie musique de drogué, le rappeur se lâche. Sa voix navigue d’un ton clownesque à un autre, plus grave, et il rappe sur tous les modes, sur des beats dérangés que lui ont concoctés une pléthore de producteurs, s’essayant au grime anglais (« Lie4 », « Bruiser Brigade »), au minimalisme électronique (« Detroit 187 »), au rap de science-fiction d’il y a 10 ans (« Outer Space ») ou au cloud rap de Main Attrakionz (« I Will »).
« XXX » est passablement décousu et chaotique, mais cela convient parfaitement aux thèmes choisis : la vie sens dessus-dessous d’un Danny Brown bousillé par les drogues (« XXX », « DNA », « Blunt After Blunt ») et la bière (« Bruiser Brigade ») ; celles, aussi décadentes, des rockstars (« Die Like a Rockstar ») ou des femmes qui se perdent en boîtes de nuit (« Nosebleeds », l’admirable « Party All the Time »). Le rappeur tente absolument tout, avec toujours la même adresse pour marier à des beats aventureux des propos d’une provocation comique et délicieuse (« rhymes that would make the Pope want to get his dick sucked » sur l’excellent « Pac Blood », yeah!), pour donner dans la satire (ce « Radio Song » qui s’en prend aux rappeurs pré-formatés) ou renouer avec le registre social (« Scrap or Die »).
Ca part vraiment dans tous les sens, mais où que Danny aille et jusqu’à l’apothéose du génial « 30 », c’est toujours absolument jouissif, frais et vivant. Si jamais après ça, il nous reste encore des croque-morts pour nous parler d’une soi-disant mort du rap…