Session de rattrapage. Avec circonstances atténuantes puisque cet excellent disque de l’année écoulée semble bien parti pour ne jamais bénéficier de distribution européenne. Profitons du traditionnel moment des bilans annuels et décidons qu’il n’est plus temps d’attendre une sortie officielle dans nos contrées pour dire à quel point « Riposte » est un bon album. Qui aurait donc dû sortir en 2011.
Repéré par quelques programmateurs et tourneurs avisés, c’est sur scène, en toute logique, que le duo brooklynois s’est fait une réputation européenne. Leurs morceaux bruts, délivrés en toute spontanéité, y trouvent la résonance adéquate. Les membres du groupe ont beau être peu nombreux, les ingrédients de leur formule magique, un concentré d’énergie dans le minimalisme, sont pléthoriques. Au même titre que les instruments trafiqués à longueur de journée par les deux musiciens. « Buke », pour baryton ukulélé à six cordes, pseudonyme de la charmante Arone Dyer, qui assure la partie vocale, volontiers criarde et stridente. De son côté, « Gass » (en passe de devenir « Gase » dans le nom du groupe), alter ego guitare/basse pour Aron Sanchez, fait courir ses innombrables doigts sur l’instrument tordu inventé pour l’occasion. Les percussions, sourdes, simples, monocordes, se résument à des coups de grosse caisse plus ou moins rapides. Et un tambourin accroché au pied de Buke. Le disque coule donc d’un bout à l’autre, dans ce plus simple appareil, sans chichi aucun, mais avec un fabuleux sens de l’efficacité. Souvenez-vous de « Gallows Pole » sur Led Zeppelin III, et imaginez la chose répétée 14 fois de suite ici avec autant de variantes et trouvailles mélodiques. Vous aurez l’esprit du disque. La voix aiguë d’Arone, presque revêche à ses heures, gratouille gentiment les oreilles. La section rythmique évacuée donne un petit côté vacillant, déstabilisant, boiteux mais avec un fort pouvoir d’attraction, comme on tomberait sous le charme d’une personne avec un défaut physique, non pas en dépit mais du fait de celui-ci. L’enthousiasme sec qui se dégage de tout ça achève d’envoûter. Ce genre de paysage musical n’avait pas d’équivalent fin 2010 (lors de sa sortie aux Etats-Unis). Il faudra peut-être attendre le prochain album, dont la production, quelque part, a déjà commencé, pour que les premiers repères soient définitivement posés. En attendant, cette Riposte, inattendue et secouante, était imparable.