Même si beaucoup découvrent Fred Nevchehirlian seulement ces jours-ci, il est loin d’être nouveau dans le paysage musical français. Que ce soit avec Vibrion (le groupe avec lequel il a commencé à faire parler de lui il y a une demie décennie), ou en solo lors de la sortie de son (injustement méconnu) album « Monde Ancien, Monde Nouveau », il a su marquer tous ceux qui l’ont vu sur scène. Une dégaine de littéraire, un sourire bien accroché aux lèvres, des textes qui tranchent, un phrasé de pilier de slam, une guitare aussi affûtée que ses mots, des collaborateurs de grande classe (Serge Teyssot-Gay, Rodolphe Burger, Mike Ladd, Jean Lamoot) et des projets qui balayent un panorama musical allant du rock à la chansons française classique en passant par le mix de slam et de folklore méditerranéen, voilà les ingrédients qui ont fait le Nevchehirlian qui nous revient avec ce brillant Soleil. Pour ce nouvel album, il s’est appuyé sur un parolier qui, lui non plus, n’est pas totalement inconnu : Jacques Prévert ! Des textes inédits, pour la plupart, datant des années 30 ou 50 du siècle dernier, le tout admirablement mis en musique par Nevchehirlian et ses fidèles acolytes (Stéphane Paulin à la basse, la toujours impeccable Tatiana Mladenovitch et/ou Gildas Etevenard à la batterie, Julien Lefevre au violoncelle, Christophe Rondomisto à la guitare).
Chanter du Prévert en 2011 pourrait relever à la fois de la facilité (la seule erreur de cet album est d’ailleurs cette chanson cachée et trop entendue à la fin de l’album) et de la prise de risque extrême (comment réussir à sublimer de tels textes ?). Pour ne pas tomber dans les pièges, Nevchehirlian ne s’est pas contenté de chanter ou de réciter les textes de Prévert. Il leur a redonné vie. En les vivant lui même, en les enveloppant d’une musique subtile et doucement rageuse, mélangeant un rock entraînant (« Il ne faut pas rire avec ces gens là« ), un slam mélodieux (« Citroën ») et le folk lo-fi (« Travailleur attention »), soignant la production et le moindre son, il les place dans le présent, rend ces poèmes sociaux plus actuels que jamais. Les guitares sont superbes tout au long de l’album (le génial instrumental « le Re-liftier ») , les percussions savent être aussi légères qu’hargneuses, le violoncelle et les chœurs apportent la pointe de lyrisme indispensable. Comme dans tous les bons « albums à textes », les rythmes et les mélodies entêtantes prennent souvent le dessus. « Le soleil brille pour tout le monde ? » n’est jamais fatigant, jamais ennuyeux, il place au contraire sournoisement des mélodies éternelles dans la tête de ceux qui savent écouter. Des mélodies que l’on chante ensuite, nous faisant fredonner des textes parmi les plus beaux jamais écrits. « Le soleil brille pour tout le monde ? » est un album qui fait du bien aux oreilles et au cœur, ancre les pieds sur cette terre qu’on ne peut empêcher de tourner tout en laissant l’esprit flotter vers les plus beaux cieux.