Compte rendu de trois soirées de l’édition 2011 du festival boulonnais BBmix : groupes cultes, belles découvertes, bon esprit, jolis T-shirts et métro attrapé de justesse. Toujours l’un de nos rendez-vous préférés de l’automne.
Vendredi 21 octobre
La soirée du vendredi est sans conteste la plus homogène du festival : petits effectifs et gros effets, synthés vintage et oscillateurs. Elle commence vers 20 h avec Brian Eno et Robert Fr…, euh non, pardon, Etienne Jaumet et Richard Pinhas. Un duo inédit entre le Harry Potter des claviers et le guitariste qui a écrit quelques belles pages du rock underground d’ici. Le premier semble s’éclater (à un moment, on s’attend presque à ce qu’il nous lance un « Vous êtes là, Ibiza ? ») ; le second, assis sur sa chaise et concentré sur ses pédales, s’éclate peut-être aussi mais c’est nettement plus intériorisé. Pour tout dire, malgré quelques moments d’une belle intensité et notre attachement à ces deux figures à part dans le paysage musical français, cette impro atmosphérique nous aura laissés plutôt perplexes.
On ne sait s’il s’agissait d’une private joke des programmateurs, mais à Etienne Jaumet, moitié du duo Zombie Zombie, succédait… le groupe Zombi (sans « e »). Un autre tandem, américain celui-ci, dont la musique rappelle beaucoup les B.O. synthétiques fin 70’s-début 80’s (celles de Goblin pour Dario Argento, de John Carpenter, de Giorgio Moroder, les morceaux instrumentaux enregistrés par Wang Chung pour « To Live and Die in L.A. » de William Friedkin…), et où l’on discerne aussi des échos de krautrock, de post-rock, voire de jazz fusion. Les deux musiciens rivalisent d’excellence : Steve Moore jongle entre basse et claviers – jouant parfois des deux en même temps ! –, tandis que le batteur Anthony Paterra réussirait presque à nous convaincre qu’il a beaucoup plus que deux bras. Une certaine radicalité dans le son et les structures des morceaux empêchent l’ensemble de tourner à la pure démonstration de virtuosité, même si l’attention a parfois tendance à faiblir un peu. Intéressante découverte, en tout cas.
Si leur nom s’écrit toujours au pluriel, les Silver Apples se résument au seul Simeon (chant, claviers et machines diverses) depuis le décès de Danny Taylor en 2005. Ce dernier est toutefois présent à travers des boucles de ses parties de batterie que son ancien compère utilise sur certains morceaux. La pulsation reste la base de cette musique que Simeon a soumise à un ravalement sonore sans qu’elle ne perde de sa singularité. Mêlant petits classiques tirés des deux albums officiels et titres nouveaux et/ou méconnus, qui n’ont rien de rogatons, le set d’environ une heure s’avère très convaincant, les quelques plantages (une séquence qui part à la place d’une autre au début d’un morceau) lui apportant un surcroît d’humanité et de fragilité – choses pas très fréquentes dans l’électro actuelle. Même si la salle est loin d’être pleine, Simeon semble ravi par l’accueil du public, certains spectateurs sans doute pas nés à l’époque d’“Oscilliations” allant même danser au pied de la scène. Plus de quarante ans après sa conception, cette musique qui a influencé des dizaines d’artistes (des Spacemen 3 à Portishead en passant par ceux programmés ce soir-là) paraît toujours aussi avant-gardiste : une belle performance.
Samedi 22 octobre
Ce samedi est le jour le plus chargé pour le BBmix puisque le festival accueille 6 groupes.
Un peu tire au flanc, on loupe allégrement les premiers, dont les pourtant très prometteurs Mrs Good. Mais ce n’est que partie remise.
Comme Le Tigre (Des Platanes), Arat Kilo est une formation française instrumentale qui tire l’essentiel de son inspiration de “l’âge d’or” de la musique éthopienne (les années 60-70), découvert ces dernières années grâce à la formidable collection “Ethiopiques” de Francis Falceto. Ces brillants musiciens ne sont pas pour autant dans l’imitation pure et simple : le guitariste a ainsi un son très funky, la section rythmique flirte parfois avec le reggae-dub, et sur son dernier album, “A Night in Abyssinia”, le quintette a collaboré aussi bien avec le grand Mulatu Astatke qu’avec SoCalled et Rokia Traoré. Mais même sans ces renforts de prestige, Camille, Michael, Fabien, Samuel et Arnold convainquent par leur jeu riche et précis, leur magnifique musicalité. Et ce, malgré des difficultés indépendantes de leur volonté : un passage relativement tôt dans la soirée, un style très différent de celui des autres groupes programmés, et le fait de se produire devant un public assis (dans de très confortables fauteuils, qui plus est). Mais la prochaine fois, promis, on danse comme au bal du Grand Hôtel d’Addis Abeba en 1964.
Antoine Pasqualini, alias Arch Woodman, était venu avec son Ensemble, soit un groupe rock plus un quatuor classique (clarinette, cor, violon et violoncelle) pour jouer les morceaux de son album “Mighty Scotland”. Formation d’autant plus inhabituelle qu’Antoine chante le plus souvent en jouant debout de la batterie (réduite à l’essentiel). Cette formation élargie permet à son écriture pop-folk de révéler toute sa subtilité, sans excès de préciosité pour autant. Plus que jamais un garçon à suivre.
The Luyas est le groupe montréalais qui monte, après Arcade Fire (auxquels ils sont liés) et quelques autres. On retrouve chez eux ce qu’on aime généralement chez leurs camarades : la proximité avec le public, l’approche décomplexée du songwriting, les instruments inattendus (un cor, encore, ou une étrange guitare-balalaïka conçue par le génial luthier Yuri Landman pour la chanteuse Jessie Stein). Musicalement, on pense à un mélange entre la pop 80’s légère et mélodieuse d’Altered Images ou ‘Till Tuesday (le groupe d’Aime Mann) et l’approche plus expérimentale de Hugo Largo ou St. Vincent, avec de jolis petits tubes en puissance (l’irrésistible “Too Beautiful to Work”). A la fois intrigant et rafraîchissant.
Avec ce programme chargé, il n’est pas loin de minuit quand The Monochrome Set arrive enfin sur scène. Avec un an de retard, puisque le groupe était annoncé pour l’édition de l’an passé, sa venue ayant dû être annulée pour cause de pépin de santé de Bid. Bid donc, Lester Square (pipe au bec) et Andy Warren, membres historiques, sont aujourd’hui accompagnés d’une violoniste (qu’on n’entendra pas toujours très bien) et d’un batteur coiffé d’une sorte de fez acheté dans la journée. Le concert commence comme il se doit par “The Monochrome Set (I Presume)”, présentations qui ouvraient le premier album des excentriques Britanniques
“Strange Boutique” (1980), et nous balade ensuite dans l’ensemble de leur discographie. L’accent est mis sur leur géniaux débuts (des premiers singles comme le très proto-Mabuses “Eine Symphonie des Grauens” à l’album “Eligible Bachelors”), sans négliger de piocher des morceaux parmi les albums de leur première reformation, dans les années 90, dont le très adapté « Forever Young » de 1993, avec quand même quelques nouveaux morceaux plutôt bons qu’on retrouvera peut-être un jour sur un hypothétique album.
Mais est-ce l’amphithéâtre clairsemé ou l’heure tardive ? Malgré l’excellence des chansons et le plaisir qu’on éprouve à les entendre, le concert peine un peu à décoller. Étrangement, il faudra que Bid casse une corde, terminant avec les cinq restantes après réaccordage, pour que le Monochrome Set atteigne vraiment sa vitesse de croisière. Les rappels, avec l’enchaînement magnifique “Goodbye Joe”/”He’s Frank”, puis “R.S.V.P.”, chanson en français absurde jouée à la demande des organisateurs, seront grandioses, avec même une invasion de scène (leur première en plus de trente ans de carrière ?) par les quelques spectateurs encore présents. Ultime preuve de professionnalisme et de savoir-vivre, nos princes de l’humour pince-sans-rire termineront leur concert juste à temps pour qu’on puisse attraper le dernier métro à la station Marcel Sembat. La grande (ruling) classe.
Dimanche 23 octobre
Artiste lyonnaise polyvalente, Agathe Max pourrait avoir eu John Cale comme professeur de violon. Son concert consiste en une longue improvisation de drone music acoustique où les couches sonores distordues se superposent jusqu’à la saturation. Une expérience.
La Suède ne produit pas que des groupes pop ou folk à l’accent anglais parfait. La preuve avec The Skull Defekts, quatre gaillards qui donnent dans un genre nettement plus brutal et tribal. Le programme évoque Birthday Party et Jesus Lizard, on pense aussi à Savage Republic pour les percussions de récup (ici, deux bidons en plastique en plus de la batterie). Le groupe est sans doute moins intéressé par le songwriting proprement dit que par la création d’atmosphères sombres et hypnotiques, particulièrement prenantes. Le lightshow minimal (les musiciens sont le plus souvent à contre-jour, éclairé par derrière par de simples projecteurs blancs) et la danse étrange exécutée par le chanteur sur les (longues) parties instrumentales renforcent l’aspect primitif de leur musique, une sorte de rock stoner sans gras, tout en nerfs. Belle découverte.
Comme les deux précédentes, cette troisième soirée se terminait avec un groupe que l’on peut raisonner qualifier de culte : Bardo Pond, l’un des secrets les mieux gardés de l’underground américain depuis plus de vingt ans. Les frères Michael et John Gibbons, guitaristes, portent des T-shirts Sonic Youth et Spacemen 3, ce qui résume assez bien leur approche acid-space-shoegaze-noisy (pour aller vite). La chanteuse et flûtiste occasionnelle, la belle Isobel Sollenberger, arbore quant à elle une sorte de tunique bariolée également assez raccord, si l’on considère que le quintette de Philadelphie pousse dans ses derniers retranchements le psychédélisme de la fin des années 60, comme un Jefferson Airplane qui ne serait jamais vraiment redescendu. On s’abandonne avec délices à ce maelström sonore psychotrope dont on n’émerge que le temps de quelques rares moments bucoliques. Un vrai trip.