Avec le temps, Björk est devenue aussi discutable qu’un camembert pasteurisé. Marronnier idéal des magazines, on peut la traiter sur le versant écologique (fille d’Islande et fière de l’être), gloser sur le mariage technologie/folklore de sa musique (piston versus beatbox), s’extasier sur son look, ses pochettes, ses vidéos, dérouler le CV de ses collaborateurs célèbres ou sur le point, évoquer son couple avec Matthew Barney, ancien footballeur américain devenu artiste contemporain (encore de l’hybride), parler chiffons, intentions, enfants, nature/culture. Et parfois, le moins souvent possible, du bout des lèvres, rappeler que Björk est aussi musicienne et qu’elle commet encore des disques sur lesquels on peut avoir un avis.
Prenons « Biophilia », débarrassons-le de l’accessoire – applications iPad, éponge-mycose rousse, Gaïa en duplex sur la 2 – que reste-t-il ? Une pauvre petite chose aride et tremblante, tintinnabulante et poussive. Le plus souvent accompagnée d’un unique instrument exotico-futuriste, Björk pousse la non-chansonnette sur un mode incantatoire pâlichon, parfois rejointe par des choeurs – doublés de sa voix ou pas – ou par une brusque éruption électro-tectonique (les deux sont aussi possibles). Le spectre va donc du chuchoté sur fond d’orgue à soufflets « Dark Matter » (sauvable), à « Mutual Core », très Fantasia drum’n’bass chez Kate Bush (avec le temps, l’influence définitive de Björk). Mais dans tous les cas, rien qui n’arrive à la cheville de ses trois premiers albums, ni des réussites épisodiques que l’on a pu trouver par la suite dans sa discographie grignotée par l’habillage et les concepts. Björk n’est pas la première artiste à congédier la pop après y avoir excellé – Scott Walker et Mark Hollis, notamment, y sont parvenus de main de maître. Encore lui ont-ils tourné le dos en trouvant l’économie la mieux adaptée pour faire exister leurs nouveaux univers. Rien de tout ça chez Björk qui convoque la terre entière à son enterrement musical dans un trou de souris. « Biophilia » est autarcique et régressif comme un « Vespertine » fuligineux auquel on aurait greffé une face B d' »Homogenic » en guise de single (« Crystalline », plus verroterie que cristal). Il fait peine et donne envie de passer à autre chose. Aussi n’y manquons pas…