On l’oublie souvent, mais le rock, c’est mal.
Des garçons pas gentils, noirs de cuir, ou pire !, d’âme, invoquent le diable en moins de trois minutes. Possible définition que le vent a emportée depuis longtemps mais qui nous revient à l’écoute de certains disques. Exemple récent venu de Brooklyn : les Crystal Stilts.
Rien qu’à leur son, on se demande si ces gens voient encore le jour. « In Love With Oblivion », leur second album après un premier « Alight of Night » plutôt dispensable, suinte les catacombes noircies de fumée et les écoulements de fluides indistincts. Prenons l’énorme pépite qu’est « Through the Floor » : réverb caverneuse sur la voix, batterie primitive soutenue d’un tambourin et de claquements de main, tout est basique, entendu mille fois, jusqu’à l’orgue aigrelet, mais le morceau fabuleux se détache immédiatement, tellement il est évident et d’humeur bravache. Ces gars (plus une fille nonobstant) sont malcommodes, « heureux qu’il pleuve » et rien qu’à ce moment, peut-on parier. Pour nous faire bisquer, Brad Hargett chante même sur l’obsédant « Invisible City » qu’ils sont au courant de ce qui se passe après la mort, mais qu’il n’a pas à dire pourquoi ! Sa voix rogue et malveillante, noyée dans l’écho et la bile, est séduisante comme le crime – et tout aussi intimidante.
C’est cette distance qu’il faut apprivoiser tout au long d’un disque qui ne pratique l’oubli que dans son titre. Difficile de faire plus outrageusement velvetien cette année : « Prometheus At Large » ressemble à un medley de l’album à la banane, et les deux morceaux solaires (« Silver Sun », « Flying Into the Sun ») payent un évident tribut à « Ride Into the Sun », le second se permettant même d’y adjoindre le riff de « The Other Side », morceau rare de Galaxie 500, dont le leader Dean Wareham reprendra avec Luna ce même classique du Velvet. Suit-on ? Pour résumer, le génome de cette musique est lysergique et mutant. Les torrents acides d' »Alien Rivers » font penser à Jeffrey Lee Pierce pataugeant en plein « She Hangs Brightly » de Mazzy Star. Il n’y a guère que « Precarious Stair », souriant et très anglais, pour tirer ce psychédélisme d’égout vers le salon où l’on déguste des friandises non souillées.
Rien de neuf sous le soleil, m’objectera-t-on, mais c’est sans compter la maternité lunaire de cette musique (voir la belle prochette). On y entend l’assaut des marées, les chiens d’Hécate hurlant, la folie tenue en laisse derrière une paire de lunettes noires. C’est du rock racé et sournois, et c’est fichtrement bon.