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Disques

Wild Beasts – Smother

Wild Beasts - Smother

Le choc initial, au-delà des qualités prodigieuses des compositions, tient à l’éclairage porté par ce troisième LP sur la trajectoire du quartet anglais. Remarqué en 2006 par Domino après un single incroyable annonçant le cabaret de The Irrepressibles (« Brace Bulging »), Wild Beasts va réussir en à peine trois ans ce que quelques formations seulement parviennent à réaliser en fin de carrière : s’installer durablement dans le microcosme médiatique, brasser une base de fans de plus en plus large, remporter le trophée le plus convoité du cirque rock (l’aussi austère que prestigieux Mercury Prize) tout en incarnant à peu près tout ce qu’il ne faut pas être pour s’attirer les grâces de l’industrie. De ses revendications « littéraires » à sa manière peu glamour d’analyser les relations humaines, en passant par les vocalises lugubres et angoissantes d’Hayden Thorpe, Wild Beasts accumule en effet les défauts d’usine. Pire, la musique du groupe s’épure à chaque effort, ce qui équivaut à sortir un nouveau produit avec encore moins d’applications, autrement dit, sur le papier, à un suicide stratégique.
 
Le Wild Beasts 3.0 est donc insolent, vétuste, habillé pour l’ère glaciaire, profondément enfoncé dans les cavités les plus sinistres de sa courte carrière. Obsédé par les rapports de domination, « Smother » met du sado dans son maso (« Plaything »), force un sujet à regarder les différentes strates de sa psyché se livrer un combat mortel (« Lion’s Share », écho de la fable gréco-romaine du même nom), illustre le caractère monstrueux de la fusion amoureuse (« Bed of Nails »), autant qu’il aborde de front des sujets aussi concrets que le désir, la frustration ou la séparation (« Reach a Bit Further »).

L’antichambre de la démence est, de plus, capitonnée par une interprétation vocale habitée, tour à tour lascive, théâtrale, androgyne, vicieuse, faussement tendre et vraiment cruelle, parfois tout cela en même temps, ce qui ne manque pas d’ajouter de l’ambiguïté à certains titres aux atours déjà malsains. Ce dernier terme peut paraître contre-indiqué pour parler d’un disque souvent somptueux ; outre la violence psychologique se dégageant de l’ensemble, c’est justement ce décalage entre ce qui est clairement exposé et ce que l’on reconstitue presque inconsciemment à partir de quelques détails et d’associations troublantes, ce double langage musical permanent qui renouvelle sans cesse l’intérêt de ce disque fascinant, manipulateur et plus inquiétant à mesure qu’il nous devient plus familier. L’intelligence du groupe est d’être parvenu à brasser des sujets aussi sensibles sans jamais les embourber dans le pathos ni être pompeusement didactique, fléau du « X&Y » de Coldplay, pour évoquer un disque thématiquement cousin, et d’insinuer par ailleurs que même les situations a priori les plus extrêmes, que l’on regarde de haut comme des cas limites ne nous concernant pas, ne nous sont en réalité peut-être pas si étrangères.

A l’image du dernier The National, la densité de « Smother » semble intimement liée à un choix esthétique : réduire autant que possible les chansons à ce qui leur absolument nécessaire pour atteindre leur objectif, supprimer les excès pour rendre la mélodie parfaitement lisible, aller toujours plus loin dans la sobriété, user du silence comme un ressort dramatique. L’album s’achève ainsi par l’illustration la plus aboutie de ce choix, « End Come Too Soon », bouleversante cérémonie funèbre d’un couple dont l’amour entre au sépulcre.

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