« Do not Fear » nous lance le prévenant Chad sur la première plage de son nouvel album. On serait mal avisé d’avoir peur en écoutant une nouvelle livraison du génial songwriter canadien. Mais on comprend la mise en garde à la lumière du son, d’emblée plus rugueux, qui compose ce « Diaper Island », qui ne sera probablement pas le disque qui propulsera Chad VanGaalen sur les ondes radiophoniques. Aucune importance vous rétorquera le fan derechef transi d’amour, s’il parvient à dépasser l’impression un peu brutale provoquée par la première écoute.
De Chad VanGaalen, on connaissait deux facettes jusqu’alors assez distinctes. Le metteur en scène solitaire et lo-fi d’une part, auteur de morceaux gracieux et sensibles, explorant avec brio tous les recoins d’un folk protéiforme et bidouilleur de cette voix cristalline prompte à faire pleurer les pierres. Le producteur noisy pop d’autre part, architecte sonore du bruit harmonieux, inspiré au-delà du raisonnable par feux ses compatriotes Women, auteurs de deux albums uniques en leur genre, du reste indéfinissable, entre expérimentations grinçantes et limpidité pop. Sur ce quatrième album, un Chad à la croisée des chemins entre ces deux émanations d’une même et talentueuse personnalité, qui en comprend d’ailleurs bien d’autres, s’exprime à travers des titres résolument plus rock, plus revêches, plus sales sans doute, que les perles acoustiques auxquelles nous avait habitués notamment son précédent album (distribué), « Softairplane ». Mais il faudrait être sourd ou de bien mauvaise disposition pour bouder le plaisir que procure ce mariage fascinant entre Producteur Jekyll et Master Hyde, ou le contraire. Les chansons sont toujours là, la voix est toujours là, et clef de voûte du système VanGaalen, l’émotion, est toujours là, perchée sur les hauteurs habituelles, quand bien même elle se cache derrière des décibels de saturation ou des coups de batterie peut-être un peu plus forts qu’à l’accoutumée. Sauf, sur la charmante petite provocation de fin de disque, « Shave My Pussy », on ne retrouve pas l’épure acoustique qu’on aimait aussi chez Chad. Mais, des merveilles comme « Wandering Spirits », neilyoungesque en diable, ou la terriblement belle « Sara », ont la force inexplicable de ces chansons qui vous caressent puis retournent l’âme sans prévenir, sans artifice, sans autre intention que d’être ce qu’elles sont.
A la recherche d’une nouvelle identité sonore, qui délaisse la sophistication des arrangements électroniques pour la brutalité directe d’un habillage viril et sans fioriture, l’ermite de Calgary s’est trouvé la carapace idéale pour abriter des chansons d’une pureté astrale, qui ne se révéleront pourtant qu’aux disciples les plus assidus, tout prêts à voir dans ce nouvel album, un nouveau chef-d’oeuvre, un nouveau miracle, comme il n’en arrive pas si souvent sur notre bonne vieille terre. On avait raison de ne pas avoir peur, le saut de la foi est amplement récompensé.