Impossible de voir Pere Ubu sans repenser aux hilarantes planches de JC Menu relatant, dans l’indispensable « Lock Groove Comics », deux récents concerts de la formation de David Thomas.
David y est sur scène comme dans la BD, aviné (il sortira plusieurs fois de sa poche une flasque métallique), grandiloquent et drôle mais sans chapeau ni imperméable et plus ou moins rasé. Pere Ubu est là pour revisiter l’intégrale de « The Modern Dance », son séminal (comme on dit) album de post punk daté de 1978 et toujours aussi moderne.
Le groupe commence dans l’ordre et même par les singles avant de s’attaquer à l’album. Comme quoi, on peut être punk et méthodique.
Ce qui vaut le jus, c’est bien entendu les plus ou moins longs monologues de David Thomas censés présenter les chansons. Après quelques mots sur les habitants de Malmö (les bouseux locaux), nous aurons droit à : « Ceci est une chanson d’amour… de Cleveland », « Ceci est une chanson de Doris Day…. « Que serà serà »… Personne ne l’a remarqué parce qu’on est malins et qu’on a changé le titre », « Le saviez-vous ? Cleveland est la ville où il y a le plus de maoïstes… à part en République Démocratique de Chine. Enfin… Saloperies de communistes ! » ou pour introduire « Chinese Radiation » : « Vous savez où allaient les radiations lorsque le Gouvernement US faisait péter les bombes dans le pays ? Pas dans les saloperies glacées du Canada ou ailleurs, non, elles allaient droit sur…Cleveland. Cleveland beuargh ! ». On vous passe les (nombreuses) blagues sur les filles, hein, en vous renvoyant à l’album au titre explicite « Why I Hate Women« …
Bref, on rigole bien. Sur scène, pendant ce temps, les pépères tabassent : Keith Moliné, chroniqueur pour Wire, semble armé d’une batterie de guitares pour tirer des sons noise, griffures sonores et autres stridences en plus de ses riffs, la bassiste d’un certain âge se tire la bourre avec un jeune batteur en short et la tête bien souvent enfournée dans ses fûts, pendant qu’un sosie de Steve Reich, chemise et casquette, nous massacre – gentiment – les oreilles à coups de claviers, samples et theremin. Le tout ressemble, si vous n’êtes guère versés en Pere Ubu, à un mélange entre… The Fall et Young Marble Giants. Punk et minimal, dansant et noise, mélancolie et diarrhée chantées.
Le public est à l’image du chanteur : légèrement ventripotent, alcoolisé et toujours punk, malgré l’âge. On repérera tout de même un monsieur âgé et bien portant, veste militaire et sweat à capuche, T-shirt de Einstürzende Neubauten et… lunettes à chaînette ! Oui, madame ! Un autre fan du premier rang, ressemblant étrangement au nain dansant de Twin Peaks, sortira de ses poches quelques percussions (maracas, bâtons…), se faisant ainsi percussionniste amateur pour le groupe, plutôt bien à propos (une fois n’est pas coutume : ça change des petits chanteurs à la croix de bois ou des tapeurs dans les mains à côté du rythme). David lui dira à un moment que « cela (le) perturbe » et notre sixième membre du groupe rangera son petit matériel.. pour continuer plus tard à l’aide de deux canettes de bière récupérées !
Après un rappel vite expédié, David nous annonce que son moment préféré va arriver : « le merchandising » et qu’il a moult choses à nous vendre « pour être cool… Notamment le t-shirt du nouvel album qui n’est pas encore enregistré ! » David, chemise de bûcheron, bretelle sur le pantalon (large) en velours s’assoit sur scène et entame la vente et la distribution d’autographes et de bons mots. Grand bonhomme toujours vert, musique fantastique. Quelle soirée !