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Disques

Hubert Mounier – La Maison de pain d’épices

Hubert Mounier - La Maison de pain d'épice

On connaît l’indéfectible amitié – teintée d’admiration mutuelle- qui unit Hubert Mounier et son cadet Benjamin Biolay. Les deux hommes, qui partagent une passion dévorante pour la bande dessinée, les Beatles et la culture pop dans son ensemble, se sont croisés pour la première fois à Lyon en 1994. A l’époque, Benjamin Biolay n’est encore qu’un étudiant du Conservatoire de la capitale rhodanienne mais caresse déjà l’espoir d’une hypothétique carrière musicale. Sa rencontre avec Hubert Mounier, leader de l’Affaire Louis’ Trio et auteur plus confidentiel de bande dessinée chez Magic Strip sous le pseudonyme de Cleet Boris (cherchez le jeu de mot), va être déterminante pour sa carrière naissante. Biolay voit en Mounier un véritable « professeur de chansons, au même titre que Gainsbourg » et va faire ses classes en tant que choriste, musicien puis arrangeur pour le groupe lyonnais jusqu’à sa séparation à la fin des années 90.

Quelques années plus tard, l’élève Biolay est devenu bien plus célèbre que le maître et ne manque pas une occasion de renvoyer l’ascenseur à celui qu’il considère comme « l’un des plus brillant songwriter français », en réalisant notamment ses deux premiers essais solos et en l’invitant régulièrement à partager la scène avec lui pour faire découvrir à un public renouvelé le fameux « Mobilis in Mobile ».

De Biolay, il est encore question dans le troisième album du chanteur-dessinateur « La Maison de pain d’épice ». Dès les premières pages de la bande dessinée que lui ont commandée les éditions Dupuis, Hubert Mounier évoque l’arrivée de B.B dans sa paisible maison d’Ardèche, arrivée qui constitue le réel point de départ de la conception du disque. Pendant plus de cent pages, Mounier, qui a ressorti du placard pour l’occasion son double Cleet Boris, raconte la naissance de l’album avec un humour, une distance et une sincérité véritablement touchante. Il y dévoile les affres et angoisses de la création mais aussi le bonheur et le plaisir qui en découle lorsque comme par magie une mélodie ou un texte surgissent sans crier gare dans les méandres chaotiques de son cerveau d’éternel perfectionniste.

Mais Cleet Boris ne se contente pas de relater sous forme de vulgaires croquis ses séances studio, il raconte tout ce qui fait sa vie et qui se retrouve forcément disséminé dans ses chansons : ses combats contre l’alcool autrefois et la cigarette aujourd’hui, son licenciement de la maison de disque qui l’emploie et le procès qui en résulte, son quasi retour à l’anonymat après les années fastes de l’Affaire Louis’ Trio pendant que son homologue B.B triomphe avec le multi récompensé « La Superbe » et devient par la même de plus en plus inaccessible, son monde intérieur qui bouillonne alors que le monde extérieur semble, lui, s’affaisser un peu plus chaque jour ou la naissance d’un enfant qui l’extirpe pour un temps d’un processus créatif parfois éprouvant.

Ainsi énumérées, ces tranches de vies peuvent faire sourire les lecteurs-mélomanes parmi les plus cyniques : ce ne sont après tout que les tribulations d’un homme bien ordinaire, au pire le quotidien d’un chanteur sur le retour un peu amer, au mieux celui d’un petit artisan de la chanson française. Seulement, l’objet est si beau (album cartonné et format d’une pochette de 45t), le dessin hérité du revival ligne claire des années 80 si fluide, coloré et pétillant, le style si délicat et personnel que quiconque parcourra les pages de ce journal de bord dessiné se laissera irrémédiablement séduire et s’attachera sans coup férir au personnage. « La Maison de Pain d’épice : Journal d’un Disque » se boit donc comme du petit lait et donne évidemment l’envie de jeter une oreille attentive sur le disque qui accompagne sa sortie. L’inverse est également valable.

Le disque « La Maison de Pain d’épice » est encore plus pop, plus spontané, plus simple et efficace que ses deux prédécesseurs. Moins arrangé aussi ; exit les trompettes et le mellotron de « La Vie fait ce qu’elle veut », place à un cahier des charges plus restrictif : guitares, basses, batteries, un peu de claviers et de chœurs. Un recentrage minimaliste qui s’explique sûrement par l’absence de Benjamin Biolay, au moment d’enregistrer les chansons ; Biolay qui aura joué un rôle important dans la conception du bébé mais qui n’assistera pas à son éclosion définitive. Concrètement, l’album semble avoir été conçu dans l’optique de faire de la scène. Mounier a souhaité retourner à l’essence de la pop, à « la recette inventée par les Beatles » et à laquelle il fait « des clins d’œil volontaires et jouissifs ». Surtout, il a retrouvé l’envie, toute bête, d’embellir le monde à coup de mélodie et de « sourire des défauts du monde » comme il le faisait avec « Chic Planète », l’uns des premiers succès de l’Affaire Louis’ Trio.

D’ailleurs, sorti au milieu des années 90, ce disque aurait fait la joie des programmateurs radio qui y auraient pioché sans aucune hésitation quelques tubes à la fois populaires et exigeants à diffuser en boucle sur leurs stations entre un refrain des Innocents et une roucoulade de Lilicub. Mais aujourd’hui, au milieu de la nouvelle variété française fadasse estampillée Christophe Maé et des hits électro-pop qui mélangent le pire l’Eurodance et de la Makina des années 90 (aïe, aïe, aïe), il n’y a malheureusement aucune chance pour que les tubes d’Hubert Mounier deviennent un jour… des tubes.

Cleet Boris : « La Maison de pain d’épice, journal d’un disque ». ( Edition Dupuis )

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