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Sufjan Stevens – The Age of Adz

SUFJAN STEVENS – The Age Of Adz
(Asthmatic Kitty / Differ-Ant) [site] – acheter ce disque

SUFJAN STEVENS - The Age Of AdzAttention, chef-d’oeuvre monumental ! N’en déplaise aux irréductibles, je le dis haut et fort : on la tient la véritable pièce maîtresse du Monsieur – et au moment où je commençais à perdre espoir, joli coup du destin. Quelle leçon de courage (dont je m’inspire pour écrire cette colonne) ! Avec hardiesse, le pionnier des temps modernes bouscule ses confortables acquis, au risque d’être incompris ; balaie d’un revers ses lettres de noblesse, et déverse une encre toute neuve sur une page encore vierge d’aventure – et de quelle manière ! Merci pour ce pied de nez à l’ennui.

Plus de doute, ce jeune garçon surclasse tous ses pairs, et de loin, très loin. Si "Come on Feel the Illinoise" est une perle pop parfaite, j’ai néanmoins toujours trouvé – fût-elle magistralement ouvragée – que son auteur avait échoué sur un point, et non des moindres : il n’avait pas su lui insuffler ce fluide céleste qui donne vie aux choses, cette aura dans laquelle "The Age of Adz" baigne, pour sa part, sans discontinuer.

Enfin, Sufjan annihile la frustration du passé en franchissant le cap ultime : faire de sa musique une entité vivante, dotée d’une âme. Je ne sais à quelle incantation l’alchimiste a dû se livrer pour percer les mystères de la pierre philosophale ; une chose est sure, il a trouvé une formule à la fois impénétrable et évidente ; une forme de voix divine qui délivre une vérité absolue, dont la complexité insondable n’a nul besoin d’être déchiffrée pour être comprise.

Dès l’entame, le songwriter fait preuve de finesse en jouant la carte de la diversion : je le suis, sans me poser de question, dans cet écrin dépouillé à l’extrême, qu’il habille de quelques notes aériennes et de sa voix spectrale, susurrée – la ballade parfaite pour désamorcer tout mécanisme de défense ; puis, profitant de mon demi-sommeil, il me bombarde, ex abrupto, de percussions aquatiques ; il pleut des gouttes grosses comme des immeubles ; il n’y a nul endroit où me retrancher ; je reste figé, exposé aux vents et marées ; pas le temps de souffler que déjà une vague électro colossale se pointe à l’horizon ; tout autour, ça mitraille ferme ! Que faire ? Ben lâcher prise ; je ferme les yeux, et comme pour le sparadrap, je compte jusqu’à trois ; un… Oups, il est encore plus véloce qu’il n’en avait l’air, ce raz-de-marée ; submergé, je perds pied ; le courant est si fort que je n’ai d’autre choix que de me laisser cahoter par le flot incessant ; "Too Much" ? Non, pas du tout, juste parfait ; jamais embuscade n’a été si salutaire ; le mélange subtil de robotique et de quintessence organique me caresse les pavillons ; à l’instar de mère Nature, Sufjan déchaîne les éléments jusqu’au bout de sa pensée, sans que le moindre fétu de paille ne vienne perturber les rouages de cette horlogerie sans faille.

À peine le temps de reprendre mes esprits que déjà, le titre éponyme se déploie ; grandiose ! Sa mécanique ciselée s’articule autour de bribes orchestrales hautes en puissance que viennent inonder des arrangements électro volatils, tantôt vintages tantôt modernes – parfaits ; Sufjan continue sa marche royale en n’hésitant pas à mouiller l’ancre en contrée ouateuse, traversée de nuées fantomatiques emplies de choeurs féminins et d’échappées flûtées – sa marque de fabrique.

Complémentaires, les titres s’imbriquent avec une légèreté telle, qu’ils auraient pu, sans mal, ne former qu’une plage insécable, chaque recoin invitant à la contemplation extatique. Le bouquet final, long de près de 26 minutes – et si court à la fois, est d’ailleurs particulièrement représentatif de l’aptitude peu commune de Sufjan à donner à un même tableau un nombre incalculable de reliefs, en jouant avec des couleurs foncièrement antagoniques qui, une fois étalées sur sa palette magique, deviennent irrémédiablement symbiotiques.

Éblouissant !

David Vertessen

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A lire également, sur Sufjan Stevens :
la chronique de « All Delighted People EP » (2010)
la chronique de « The BQE » (2009)
la chronique de « Run Rabbit Run » (2009)
la chronique de « Songs for Christmas » (2006)
la chronique de « The Avalanche : Outtakes and Extras from the Illinois Album » (2006)
l’interview (2005)
la chronique de « Come on Feel the Illinoise » (2005)
la chronique de « Seven Swans » (2004)

Futile Devices
Too Much
Age of Adz
I Walked
Now That I’m Older
Get Real Get Right
Bad Communication
Vesuvius
All for Myself
I Want to Be Well
Impossible Soul

 

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