ARCADE FIRE – The Suburbs
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Arcade Fire fait partie d’une coterie très recherchée, celle des groupes indés qui à la suite d’une conjonction heureuse entre leurs qualités propres et les attentes d’une époque ont passé sans encombre la frontière du mainstream et accru leur audience sans renier leurs racines. Le revers de la médaille est qu’une telle projection dans les consciences entraîne souvent les groupes à forcer le trait et à prêter le flanc à la caricature. Ce qui sauve Arcade Fire de ce travers et fait de "The Suburbs" probablement leur meilleur album est que le collectif canadien était déjà au départ une sorte de caricature, soit une "communauté" de multi-instrumentistes jouant un rock intense, mélodique et violoneux sur des sujets forts voire plombés lors de concerts habités comme si leur salut en dépendait. Gloups ? Et pourtant…
Depuis le carton du quasi-inaugural "Funeral", rien n’a changé au fond chez Arcade Fire, mais de la maîtrise a été gagnée, ce qu’enregistre crânement "The Suburbs", plus égal que ses deux prédécesseurs, avec le corollaire minorant qu’aucun morceau ne se dégage franchement comme c’était le cas avec "Rebellion" ou "Black Mirror". Les temps forts y sont cependant répartis avec beaucoup de maestria tout au long de l’heure que dure le disque, découpé en séquences avec des renvois, reprises ou morceaux scindés entre les deux vocalistes. De la belle ouvrage toujours sous haute influence Bruce Springsteen avec ce goût marqué pour la combustion à petit feu ou grosses flambées (l’obsédant "Used to Wait", "Empty Room" shooté aux cordes funambules d’Owen Pallett). On passera sur une épisodique tendance au middle-of-the-road pontifiant également héritée du Boss ("Modern Man", très bof). Pour ce qui est du sonique, la bande à Butler joue à la fois dégagé et compact, sans que les fioritures pourtant présentes ne détournent de l’impression d’ensemble, celle d’une flèche plus ou moins empennée qui doit atteindre son but. Arcade Fire est à bien des égards, un groupe rectiligne et c’est là sa très grande force.
Il ne l’a pas toujours été, handicapé par le chant sinueux, régulièrement épouvantable de Régine Chassagne (sur "Funeral", l’embarrassant "In the Back Seat" faisait quasiment passer la Balibar-be pour un modèle de justesse). Ce défaut combattu ici avec plus de succès, la chanteuse à voix de crécelle donne ses meilleures interprétations sur "Half Light I" et même sur le légèrement discutable "Sprawl II" qui vacille son "Heart of Glass", tout près de la dance minable. Il semble assez évident qu’en chassant aussi loin de ses terres, Arcade Fire laisse la porte ouverte à tous les possibles pour ses futures incarnations, mais on peut déjà leur assurer que du Metric chamallow n’est pas une option à long terme. Pour notre part, on ne se lasse pas du piano bastringue de "The Suburbs", ni du rockab’ régressif "Month of May" qu’une relecture electro bas du front conduirait au bord du Suicide. On distinguera aussi dans le genre martial/enveloppé, "Half Light II", presque aussi beau que "There Goes The Fear", le chef-d’oeuvre des Doves, et le plus classique mais magistral "Rococo". Bien sûr, les chicaneurs regretteront ces rasades goulues de l’âme qu’aucun second degré ne sauvera du sticker FFFF Télérama "approuvé par mon diocèse". Eh bien oui !, Arcade Fire, c’est toujours des faux babos bibliques qui rockent leur mal aux valeurs comme d’autres le dépucelage de leur petite voisine. N’empêche, on parie que même fissurés, les murs mitoyens de ces "Suburbs" vont durer un bon moment.
Christophe Despaux
A lire également, sur Arcade Fire :
l’interview (2005)
la chronique de « Funeral » (2005)
The Suburbs
Ready to Start
Modern Man
Rococo
Empty Room
City With No Children
Half Light I
Half Light II (No Celebration)
Suburban War
Month of May
Wasted Hours
Deep Blue
We Used to Wait
Sprawl I (Flatland)
Sprawl II (Mountains Beyond Mountains)
The Suburbs (Continued)