Cette année, la Route du rock fêtait sa vingtième édition estivale (et non ses vingt ans comme on l’a lu ici et là, le festival ayant commencé en 1991). Malgré des difficultés financières aussi récurrentes que les problèmes de navettes entre Saint-Malo et le fort de Saint-Père, ce rendez-vous à la programmation toujours exigeante tient le cap. A l’ombre des méga-rassemblements attrape-tout, « le plus petit des grands festivals », comme dit son directeur François Floret, a su faire son trou. Si cette édition n’aura pas offert d’énormes révélations, elle se sera révélée dans l’ensemble un bon cru, à la programmation cohérente et équilibrée. En dépit de la pluie qui transforma le samedi l’enceinte du fort en champ de boue, la fréquentation est semble-t-il en hausse par rapport à l’année dernière (plus de 20 000 entrées, dont la moitié pour le samedi), ce qui permet d’envisager l’avenir avec un raisonnable optimisme. Retour sur le festival qui fait de la météo un sujet valable de conversation pendant trois jours.
Vendredi 13 août
C’est sur la plage que commence cette année le festival. Pas de Palais du Grand Large ce vendredi. Il fait beau, et, très éprouvés (sic) par notre trajet, nous profitons du soleil pour prendre une bière au son du très agréable concert de Little Red Lauter. Mais l’heure tourne, il est temps de se rendre au fort.
C’est aux quatre Californiennes de Dum Dum Girls que revient la tâche d’ouvrir, sous le soleil (bientôt aux abonnés absents) la première soirée au fort de Saint-Père. Au niveau look, rien à dire : noir intégral – lunettes comprises -, minirobes, dentelles, tatouages… Si avec ça elles n’ont pas droit à un cameo dans le prochain Tarantino, faudra vraiment qu’elles changent de manager. Musicalement, c’est raccord : entre noisy-pop, girl groups sixties et rock garage, une formule connue (remember Vaselines, Talulah Gosh, Shop Assistants, Black Tambourine, Dolly Mixture, ou aujourd’hui les Vivian Girls) mais toujours efficace, même si le quartette reste assez statique. Les morceaux de deux minutes trente de l’album « I Will Be » s’enchaînent, plus ou moins interchangeables à l’exception d’une ballade qui montre que Dee Dee et ses pétroleuses ont plus d’une corde à leur arc (ou plus de trois accords à leurs guitares). Le groupe semble de toute façon condamné à évoluer s’il veut passer l’année et échapper à l’anecdote. (V.A.)
Il y a quelques mois, Owen Pallett donnait un concert époustouflant au festival Villette Sonique, simplement accompagné d’un acolyte multi-instrumentiste (et encore, pas sur tous les morceaux). Sa prestation à la Route du rock aura été du même tonneau, juste un peu plus courte (on aurait bien repris dix minutes de rab) et un tout petit peu moins captivante, sans doute parce que la subtile pop à tiroirs de Mister Final Fantasy n’est pas vraiment faite pour les grandes scènes en extérieur. Jouant essentiellement des morceaux de son magnifique dernier album, « Heartland« , avec quelques incursions dans les précédents et une superbe reprise du « Odessa » de son compatriote Caribou (qui clôturait la soirée), le Canadien virtuose, bonnet mauve assorti à son T-shirt, jongle avec une aisance désarmante entre violon et samplers, ce qui nous ferait presque oublier qu’il est aussi un chanteur d’une justesse absolue. Un peu plus tôt, lors de sa conférence de presse, il avait annoncé d’éventuelles collaborations à venir : peut-être Duran Duran et, plus excitant, deux chanteuses cultes : Buffy Sainte-Marie et Dagmar Krause (ex-Henry Cow et Slap Happy, avec qui elle chanta en 1972 la version originale de « Blue Flower », repris plus tard par Mazzy Star). Plus que jamais un garçon à suivre. (V.A.)
Ensuite, c’est l’heure d’aller chercher une galette-saucisse. Petit happening sur le chemin du retour, Federico Pellegrini aka French Cowboy s’amuse à démolir quelques morceaux qui ne sont pas de lui, tout seul ou accompagné, notamment de Michel Cloup (pour une reprise de « Beat on the Brat » des Ramones), sur une petite scène dressée derrière la régie. Très sympathique délire récréatif qui fait patienter le temps que le Yann Tiersen Philharmonique Orchestra s’installe.
Le nouveau projet de Yann Tiersen était attendu au tournant. Accompagné notamment de Josh T. Pearson, Matt Elliott, Laetitia Sheriff et d’un facétieux membre de Syd Matters (en choristes !), le Brestois se retrouve au milieu d’une quinzaine de musiciens. L’entreprise est ambitieuse, et le plus souvent convaincante. Les cuivres, cordes et choeurs apportent une belle ampleur sonore, dans une atmosphère où accalmies et déflagrations s’enchaînent. L’essentiel du set est instrumental et les morceaux sont en grande majorité tirés du futur album « Dust Lane », qui sortira à l’automne. On retiendra « Palestine » et ses voyelles scandées sur des mesures progressives, l’épique et éclatant « Ashes » et le beaucoup plus léger « Fuck Me ». En rappel, le Breton offre une version surprenante d’un thème d' »Amélie Poulain », et un « La Terrasse » chanté trop en dedans et un peu hors sujet. Tout se termine dans un déluge de guitares assez prévisible, à l’image du concert, intéressant sans être totalement enthousiasmant. (VLD)
The Black Angels, ce sont cinq Américains sur scène, originaires du Texas, pour un rock psychédélique enrobé d’écho, de fuzz. Ce qui attire l’attention très vite, c’est la voix du chanteur Alex Maas. On lui trouve des airs de Billy Corgan quand il pousse dans les aigus, et cela n’est pas pour nous déplaire. En revanche, le style musical n’a pas grand-chose à voir. Ici, les longues envolées sont de mise, on use les riffs jusqu’à ce qu’ils n’en soient plus vraiment, passant dans le langage courant, résonnant encore dans l’oreille quand, lentement, une nouvelle mélodie tente de s’immiscer. Une odeur de poussière s’installe rapidement dans le fort et les paysages qu’appelle la musique des Texans sont invariablement arides et dépeuplés. Une plongée dans le rêve américain dans tout ce qu’il a de plus inquiétant. Un troisième album est prévu pour la mi-septembre et les amoureux du Brian Jonestown Massacre et des Doors feraient bien d’y prêter une oreille attentive. (J.D.)
On ne savait pas trop quoi attendre de Liars, groupe capable (dans notre souvenir un peu lointain) de grands moments de furie parsemés dans des concerts quelque peu décousus. En grande formation (cinq musiciens), les Américains auront finalement livré une prestation plus directe et serrée, mais presque trop conventionnelle, surtout à l’aune de leur dernier album, l’ambitieux (et parfois effrayant) « Sisterworld ». Certes, cette grande asperge d’Angus agite ses longs cheveux et ses grands bras dans tous les sens et sort régulièrement quelques mots de français (« saucisson », « fromage », « La Roooooûûûûte du rock », etc.), mais on aurait préféré de la vraie folie plutôt que cette excentricité somme toute inoffensive. De façon significative, le seul moment vraiment saillant sera une reprise du toujours impressionnant « In the Flat Field » de Bauhaus, mettant en évidence une filiation à laquelle on n’avait pourtant jamais pensé. (V.A.)
C’est Dan Snaith, leader de Caribou, qui conclut cette première soirée, comme il avait conclu l’édition de 2003 avec sa précédente incarnation Manitoba (on l’avait aussi vu à la Route du rock hiver 2008).
Les claviers et les deux batteries sont concentrés au milieu de la scène, le bassiste se tient légèrement en retrait. Dan Snaith alterne batterie, guitare, flûte et claviers dans une ambiance désormais beaucoup plus électronique qu’électrique. La setlist se concentre sur le dernier album, ne proposant que deux titres d' »Andorra » (dont « Melody Day »), qui paraissent presque hors course dans cet atmosphère electro-psyché enveloppante. Après l’excellente cover inattendue de Pallett, c’est donc la deuxième fois qu’on entendra « Odessa » pendant cette soirée. On aura donc heureusement droit aux autres morceaux irrésistibles de l’album « Swim« , tels que « Bowls », « Leave House » et « Found Out ». Les rythmes claquent, les boucles muent, et la voix douce et mélancolique de Dan contribue à l’hypnose complète de l’auditoire. Cette première soirée s’achève en beauté. (VLD)