BROKEN SOCIAL SCENE – Forgiveness Rock Record
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BSS, de groupe relativement classique réuni autour de Kevin Drew et Brendan Canning, devint vite ce que l’on a coutume d’appeler un collectif à géométrie variable. Peut-être devrions-nous plutôt parler de collectif à amitiés variables, tant la structure interne du groupe et la forme même de sa musique dépendent d’un réseau fragile d’alliances, de mésententes, de ruptures, de retours et d’agglomérations successives. Identité mouvante, certes. Suffisamment solide toutefois pour qu’un caractère aussi trempé que celui de John McEntire, producteur de ce quatrième LP, ne pousse pas le groupe dans une direction expérimentale ayant fait la réputation de ce grand monsieur. Aussi surprenant que cela paraisse, il semble que McEntire les ait au contraire aidé à garder le cap le long d’un album bavard, touffu, complexe mais non compliqué, insistons et aux dimensions encore plus massives qu’auparavant.
Subsiste envers Broken Social Scene un double préjugé que ce nouvel album a le potentiel, et on l’espère le pouvoir, de révoquer : celui d’un groupe à la fois inhospitalier – « il faut un certain temps pour avoir le plaisir d’y rentrer… » – et à lecture difficile -« quel brouillon! Quel chaos! », BSS n’est certainement pas ce groupe intello dont la musique presque mathématique serait façonnée pour n’être comprise que par quelque élite disposant de beaucoup de temps et du bon code de décryptage. En témoignent « World Sick », morceau de bravoure au refrain mémorable, parfaitement calibré pour se faire apprécier des radios étudiantes s’il ne durait pas près de sept minutes, le non moins puissant « Meet Me in the Basement » ou encore le brutal « Forced to Love ». La fluidité et l’immédiateté de ces trois titres finiront de ridiculiser ceux qui fantasment sur un BSS prétendument bordélique et abscons.
D’autres pistes embarrassent le critique. Prenons « All to All », faisant mine avec ses claviers et sa batterie électro de cirer le même mètre carré de club il y a peu frotté par Hot Chip. Tout ce qu’il y a en apparence de plus moderne avant l’irruption d’un violon et d’une flûte ayant presque l’air de ricaner devant des compagnons prenant soudainement une allure déjà démodée. On ne sait alors s’il s’agit d’une confrontation entre deux pôles a priori antagonistes ou de son habile cohabitation. Peut-être est-ce l’humour sacrément tordu d’un groupe qui, lors du titre final, n’hésite pas à jouer avec l’attention de l’auditeur. Ce dernier n’entendra peut-être pas, noyé sous un déluge d’échos, un ultime mot donnant un émouvant sens à un texte jusque-là complètement con (« Me & my hand have been together since i was born, since i was in… love »). Un savoureux trompe l’oreille…
Entre deux titres coups de poing se glissent naturellement des chansons beaucoup plus atmosphériques (« Highway Sleeper Jam », « Sweetest Kill », dont l’ambiance enveloppante et les intonations rappellant furieusement le dernier Beach House) ou renouant avec le côté déstructuré du premier LP. A l’écoute d' »Ungrateful Little Father », on pense d’ailleurs immédiatement à deux des plus grands titres jamais écrits par George Harrison, « Taxman » et « Love You To ». Sauf que Drew ne se soumet absolument pas au cadre pop que respectaient les Beatles et prend un plaisir en l’occurrence très malin à le faire durer.
La véritable surprise de cette entreprise pharaonique est d’être aussi cohérente, directe, légère oserait-on dire s’il n’y avait ces textes angoissés, mordants, spéculatifs, qu’un disque écrit par quatre rockeurs enfermés dans leur garage. Un très grand album.
Julian Flacelière
A lire également, sur Broken Social Scene :
l’interview (2006)
la chronique de « Broken Social Scene » (2006)
la chronique de « You Forgot It in People » (2003)
World Sick
Chase Scene
Texico Bitches
Forced to Love
All to All
Art House Director
Highway Slipper Jam
Ungrateful Little Father
Meet Me in the Basement
Sentimental X’s
Sweetest Kill
Romance to the Grave
Water in Hell
Me & My Hand