GIGI – Maintenant
(Tomlab / Differ-ant) [site] – acheter ce disque
Lorsque des groupes ou artistes demandaient à Jack Nitzsche, mythique arrangeur de Phil Spector, de les aider à reproduire le son du maître, il refusait en expliquant que le son Spector correspond à un terrain interdit, assimilable aux cimetières indiens, que personne ne se doit de profaner. La vénération d’une certaine frange de musiciens pop – She & Him, The Wondermints, Tahiti Boy & the Palmtree Family, God Help the Girl, pour n’en citer que quelques-uns- pour ce foisonnement créatif du début des 60’s, peut s’expliquer de plusieurs manières : par le spectre déformant de l’histoire, d’abord ; par le sentiment d’innocence se dégageant de ce type de compositions, ensuite ; enfin, et c’est à mon sens la raison principale, par l’ahurissante qualité des chansons elles-mêmes. Lorsqu’on a des compositeurs tels que Randy Newman, Jackie de Shannon ou Carole King, que Phil Spector ou George "Shadow" Morton sont à la production, on ne peut pas aboutir à autre chose qu’à des symphonies pop en or massif. A titre personnel, je considère qu’on ne peut pas vivre correctement sans avoir écouté les productions Spector ou le Brill Building. Il y a là une telle concentration de force, de tendresse, d’amour et de musicalité que tenter d’y résister est absolument hors de question. En un mot, je suis fan. Et le fait qu’un groupe tel que Gigi tente, dans son nouvel album, de poursuivre le rêve, ne peut qu’avoir mon assentiment, même si je sais intimement que cela revient à courir après le temps. Comme lorsqu’on revient sur les lieux d’enfance, de moments heureux, pour tenter de retrouver le passé. On sait qu’il s’agit d’une entreprise sans rime ni raison, mais un sentiment ambigu nous y pousse. Peut-être parce qu’on tente de retrouver une pureté de sentiments, qui s’est évanouie avec le temps et la vie. Parce qu’il n’y a jamais eu rien de mieux. Et que tout est bon à prendre pour continuer à avancer.
Dans ce projet, les Canadiens Nick Krgovich et Colin Stewart jouent avec les fantômes de l’époque magique, et déploient leurs plus beaux atours dès le premier titre : "No, My Heart Will Go On" débute comme un titre des Pipettes, avec une légère ligne de basse, je pense alors être face à une réhabilitation garage-pop des early sixties, sans particularisme. Mais dès la vingt-troisième seconde, le soleil se lève : tambourins multiples, batterie réverbérée, et des choeurs féminins merveilleux. Ça fait trois fois que je repasse le titre, pour ressentir au mieux cette modulation musicale qui fait monter les larmes. On est dans le ressenti, l’irrationnel, mais c’est là la force de ce type de musique née entre New York et Los Angeles : la présence d’une Vérité au creux de la mélodie. Le défilé des spectres continue tout au long de l’album, aidé par une orchestration de cuivres et de cordes lumineuse mais jamais omniprésente : "Everyone Can Tell" et "Some Second Best" révèlent deux mini-symphonies music-hall proches d’Harry Nilsson ou de David Ackles. Le duo (qui s’est entouré d’invités sur tout l’album), revient à des sons plus modernes sur "One Woman Show", avec une rythmique plus alambiquée et des pianos doublés, qui parsèment chaque passage instrumental de petites notes mélancoliques. On aboutit même à une magnifique composition, "Strolling Past The Old Graveyard", avec une trompette "Kind of Blue" et des harmonies alambiquées comme carte de visite qui n’est pas sans évoquer certains morceaux de Van Dyke Parks. Des petites baisses de régime surviennent néanmoins avec un "I Can’t Bring Myself to Smile" un brin ennuyeux, dont la mélodie mid-tempo s’embourbe un peu. Des réminiscences de la musique cubaine ("The Marquee") viennent montrer que le projet Gigi tente de dépasser l’exercice de style pur et simple, ce qui ajoute un effet de surprise très plaisant. Cette oeuvre de gardiens du temple, comme peuvent l’être celles de Belle & Sebastian, est celle de personnes touchées au plus profond par ces compositions sixties si belles qu’elles faisaient mal. Et, face à ce vibrant hommage, on ne peut que constater l’évidence : on n’a jamais fait mieux. Et depuis, on court après. Mais certains, tels que Gigi, savent mieux courir que d’autres.
Frédéric Antona
No, My Heart Will Go On
The Hundredth Time
Dreams of Romance
Alone at the Pier
Everyone Can Tell
One Woman Show
I’m Not Coming Out Tonight
Some Second Best
I Can’t Bring Myself to Smile
Strolling Past the Old Graveyard
The Marquee
Impossible Love
Won’t Someone Tell Me?
I’ll Quit
‘Neathe the Streetlights