YEASAYER – Odd Blood
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"Don’t believe the hype" scandait Public Enemy en 1988. 20 ans plus tard, Yeasayer, révélation de l’hiver avec un premier album "All Hour Cymbals" à classer dans la sous-famille des "groupes inspirés par les Talking Heads et Paul Simon", apportant une atmosphère ethnique à leur indie rock un brin psychédélique. Un album riche, progressif-progressiste, nostalgique et rétro-futuriste, qui installe le groupe parmi les valeurs sûres de la scène indépendante : près de 3.000.000 de visites sur MySpace, signature sur des labels renommés (Secretly Canadian aux USA et Mute en Europe), participation en compagnie de l’élite indie à la compilation caritative "Dark Was the Night", collaboration vocale du chanteur Chris Keating à l’album de Simian Mobile Disco, multiples tournées, aux USA et en Europe – ils ont notamment joué à l’Olympia en support de Beck. Le succès quoi. Ou presque.
L’annonce de la sortie du second album du quartet de Baltimore – l’autre cité du psyché – a, au début de l’hiver, inondé et affolé la blogosphère entière, sur la foi d’un titre, l’élégant et percutant premier single "Ambling Amp" au clip extraordinairement référencé et beau, réalisé par le collectif branché Spy Films. Le titre offert gratuitement sur le site du groupe, n’est disponible en physique qu’en édition limitée, dans un format inédit (12 » + T-shirt collector). Un modèle de montée de buzz. La hype est lancée. Yeasayer est bel et bien un groupe version 2.0.
Quelques mois plus tard, qu’attendre artistiquement d’"Odd Blood" ? Espoirs ? Le fan lambda sera probablement d’abord surpris. Voire déçu. Là où "All Hour Cymbals" était très rock, parfois même à alourdir de la proposition "à papa" – le mélange soft-rock et rock progressif -, "Odd Blood" est résolument plus moderne. Il s’agit bien d’un groupe revivalist des années 80, mais plutôt des années 2080 ("2080", excellent tout premier single du groupe d’ailleurs). Yeasayer surprend, remplace l’ethnique par l’électronique, les guitares par les potards. Et parfois met les 2 pieds sur les dancefloors – la suite "O.N.E." / "Lonely Girl" en milieu d’album, ce deuxième morceau frôlant pourtant le mauvais goût eurodance – les nappes de synthé, le grosse caisse compressée -, "mais en fait non". On retrouve quand même quelques effets afro-pop attendus sur l’album, un riff ethnique, des percussions tribales, des voix d’ailleurs et de là-bas. C’est quand même dans ses moments les plus indie rock que Yeasayer est le plus convaincant : "Rome" très boogy ou "Mondegreen", qui sonne comme si Michael Jackson s’était mis au rockabilly avant sa mort. Ou plutôt après. Quelques quasi-tubes qui encouragent à écouter et voir le groupe en concert – le quatuor s’est d’ailleurs adjoint un cinquième membre pour apporter encore plus d’épaisseur à leurs prestations live – à la réputation déjà excellente.
Ainsi Yeasayer donne du corps à son esprit fureteur ; l’éclectisme de l’album, s’il peut désorienter, en constitue néanmoins la richesse, et en assure sa durée de vie, dépassant l’effet "pschitt" de la hype, surpassant le phénomène de mode. "Odd Blood" ôte le doute, Yeasayer est parmi les meilleurs.
Silvio Lung
A lire également, sur Yeasayer :
la chronique de « All Hour Cymbals » (2008)
The Children
Ambling Alp
Madder Red
I Remember
O.N.E.
Love Me Girl
Rome
Strange Reunions
Mondegreen
Grizelda