MASSIVE ATTACK – Heligoland
(EMI / Distributeur) [site] – acheter ce disque
Le temps est le plus cruel des critiques rock. Combien de groupes sont restés totalement pertinents passée une décennie d’existence ? Dix ? Une poignée ? Pas même. La belle scène de "Monsieur Arkadin" où Welles décrit un cimetière dont toutes les pierres tombales portent des dates rapprochées pourrait aussi bien traiter de la vie et de la mort d’un talent que de celles d’une amitié. Combien plus douloureuse la date de fin quand le talent aura été fêté et reconnu ! Massive Attack, voici bien longtemps, façonna à coup de soul engourdie le son d’une époque. Daddy G résuma un jour l’art de Massive, privé de son Attack pour cause de Guerre du Golfe, en une formule lapidaire, magique, parfaite : le bruit de bombes explosant au ralenti, ce même ralenti qui empêchait Shara Nelson de dépasser son chagrin dans le plan-séquence d’"Unfinished Sympathy", tête de pont d’une clipographie également de premier plan.
Bien plus tard, soit aujourd’hui, après ruptures, fracas, faux disque solo cryogénisé ("100th Window", à ne pas écouter avant l’an 3030), voici "Heligoland", et sa pochette hideuse dont l’arc-en-ciel bichrome prévient d’avance : les couleurs ont été bannies de cet album. Sans être honteux, le cinquième Massive Attack peine à enthousiasmer plus d’une demi-minute. La faute à un spleen mou et générique, comme certains médicaments, qui ne remue ses frusques que pour tomber dans le déjà-vu ("Girl I Love You", très "Mezzanine" avec sa basse flippée et les hoquets "j’ai pincé mon testicule préféré dans ma braguette" de Horace Andy). Enseveli sous les prestations majoritairement mineures d’invités Ferrero Rocher du rock (Damon Albarn sur l’insipide "Saturday Come Slow", Guy Garvey, le touchant leader d’Elbow perdu sur "Flat of the Blade", du mauvais Postal Service en mode atonal), "Heligoland" abandonne l’idée originelle du "posse" empruntée au rap, pour celle du mannequinat vocal que le trio bristolien a involontairement déclenché avec "Blue Lines". Hope Sandoval irradie évidemment "Paradise Circus", mais à qui n’a-t-elle pas fait le coup de la langueur perverse ? Tunde Adebimpe se sort plutôt bien de son "Pray for Rain", mais le morceau aurait gagné à être raccourci de deux minutes. L’un des apports majeurs de Massive Attack aura été de prouver que le hip-hop était soluble dans la new-wave. Las ! Tellement soluble, qu’il n’en reste plus rien sur leurs deux derniers efforts. Anciennement noire et blanche, puis blanche et noire, la musique de Massive est devenue uniformément grise, ses rares trouvailles fondues dans le papier peint à l’image du manège désenchanté de "Spliting the Atom" vaincu par l’apathie ambiante. A dire les choses en peu de mots, "Heligoland" est élégamment dispensable ; ce ne sont plus les bombes qui explosent au ralenti dans un air moiré, mais quelques pétards qui ont confondu Carême et 14 juillet. Sale temps, décidément.
Christophe Despaux
A lire également, sur Massive Attack :
la chronique de « Collected » (2006)
la chronique de « Mezzanine » (1998)
Pray For Rain
Babel
Splitting the Atom
Girl I Love You
Psyche
Flat Of the Blade
Paradise Circus
Rush Minute
Saturday Come Slow
Atlas Air